Roger-Gaudry au goût du jour

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Par Mohammed Aziz Mestiri
lundi 11 mars 2024
Roger-Gaudry au goût du jour
Les extrémités de l'aile ouest du pavillon Roger-Gaudry. La structure finale sera constituée de fenêtres en bandeaux, dont l'apparence se rapprochera des dessins d'Ernest Cormier. Photo: Juliette DIallo
Les extrémités de l'aile ouest du pavillon Roger-Gaudry. La structure finale sera constituée de fenêtres en bandeaux, dont l'apparence se rapprochera des dessins d'Ernest Cormier. Photo: Juliette DIallo
La fenestration ainsi que le réaménagement de plusieurs étages du pavillon Roger-Gaudry font l’objet de chantiers majeurs pour moderniser le bâtiment, inscrit au patrimoine culturel du Québec. La fin des travaux est prévue pour 2026 ; un échéancier serré que des imprévus pour-raient bouleverser.

« C’est atteignable, mais il va falloir que les choses aillent bien », indique le directeur général des projets majeurs d’infrastructure à l’UdeM, Alain Boilard, quant aux dates butoirs annoncées. Il supervise le volet intérieur de la réfection de Roger-Gaudry.

Les travaux majeurs de rénovation et de réaménagement portent sur les espaces vides du pavillon, où se trouvaient les départements de chimie et de physique avant d’être déplacés sur le campus MIL.

L’enveloppe totale de 390 millions de dollars, autorisée par le conseil des ministres du Québec, servira principalement aux travaux menés sur huit étages de la section est du pavillon ainsi qu’à l’ouvrage sur trois étages du segment ouest. goût

« Cette année, nous avons déconstruit l’intérieur, ce qui est facile, puisqu’il s’agit d’enlever simplement ce qui existe, explique M. Boilard. Pour la reconstruction, nous sommes présentement en appel d’offres. »

Près d’une quarantaine de travaux font actuellement l’objet d’appels d’offres publics, selon le directeur. À titre d’exemple, l’un d’eux, lancé le 19 février dernier, servira à choisir l’entrepreneur qui exécutera les travaux des planchers des sols souples dans la section ouest. Un autre retiendra un soumissionnaire pour l’installation et la modification de portes autour de la Faculté de médecine.

Les ouvrages permettront notamment de regrouper plusieurs unités des sciences de la santé sous un seul toit. L’École de réadaptation ainsi que celle d’orthophonie et d’audiologie, qui louent actuellement des locaux sur l’avenue du Parc, retrouveront ainsi l’enceinte du pavillon.

Parmi les autres réaménagements de locaux prévus se trouvent ceux des anciens laboratoires de chimie, qui deviendront quant à eux les bureaux du Secrétariat général, et ceux de la cafétéria, qui sera plus spacieuse et repensée afin d’ajouter une agora au premier étage de l’aile ouest du pavillon.

D’une pierre patrimoniale, deux coups

Le réaménagement des espaces internes s’est révélé l’occasion de remettre aux normes les 3 400 fenêtres du bâtiment institutionnel, et ce, grâce à une enveloppe budgétaire de 64 millions de dollars. Jusqu’à présent, près de 1 400 fenêtres ont été remplacées.

De plus, si des modifications à l’enveloppe externe, même les plus infimes, doivent avoir lieu, celles-ci doivent recevoir l’approbation de la Ville de Montréal avant que ne soit délivré un permis de construction. L’approbation des modifications pour la fenestration a ainsi exigé près d’un an et demi de négociations.

La raison de ce délai : le pavillon Roger-Gaudry est en effet inscrit au Registre du patrimoine culturel du Québec et, par conséquent, l’intégralité du campus et de ses infrastructures fait partie de ce registre, y compris le garage Louis-Colin.

« La division du patrimoine voulait que les nouvelles fenêtres aient un cadre en acier comme les fenêtres d’origine, précise la gestionnaire de projets à la Direction des immeubles (DI), Sylvie Gélinas. Sauf qu’au Québec, on ne construit que des cadres en bois ou en aluminium. » De plus, l’acier ne permet pas de répondre aux critères d’efficacité énergétique pour la conservation de la chaleur, selon l’architecte.

Une façade de l’aile est du pavillon Roger-Gaudry, où la grande partie des travaux de réaménagement interne ont lieu. Le pavillon est conçu selon les préceptes de l’Art déco, caractérisé par les lignes droites, les angles et la symétrie. Photo : Juliette Diallo

En plus des discussions sur le matériau du cadre, des échanges ont aussi eu lieu pour décider du mode d’ouverture des nouvelles fenêtres. La majorité des fenêtres d’origine sont à guillotine, c’est-à-dire qu’elles coulissent du haut vers le bas, mais plus aucun fabricant ne conçoit de telles fenêtres, explique Mme Gélinas, car ce sont « les plus mauvaises » sur le plan de la conservation thermique.

Les équipes ont donc suggéré d’installer des fenêtres s’ouvrant vers l’extérieur, dites à auvent. La division du patrimoine a refusé, estimant que ce type de fenêtres donne un style plus « industriel » au pavillon, ce que reconnaît l’architecte. Un accord s’est ainsi conclu autour de fenêtres à battant, s’ouvrant vers l’intérieur.

Le diable est donc dans le détail pour mettre aux normes un bâtiment sous protection patrimoniale, jusqu’à tenir compte des trois teintes de jaune de toutes les briques du pavillon. « La division du patrimoine veut conserver le plus possible l’idée originale », souligne Mme Gélinas.

Conserver cette vision est un impératif d’autant plus important qu’elle est celle de l’architecte et ingénieur Ernest Cormier, décédé en 1980 à l’âge de 94 ans, concepteur de la Cour suprême du Canada et considéré comme l’un des architectes les plus influents du pays.

« Ernest serait très heureux », affirme le conseiller spécial à la DI, Jean Charles Vinet, le sourire aux lèvres, au sujet des travaux faits sur les bouts de l’aile ouest du pavillon. Le résultat final ressemblerait à ses dessins originaux, décrit celui qui supervise la suite du volet de la fenestration.

Une entente a été conclue rapidement avec la Ville autour des extrémités de l’aile ouest. Au-delà de l’esthétisme, la réfection de cette façade était surtout critique. « Il y avait un risque d’affaissement », précise M. Vinet.
La fenestration était un mur-rideau et le matériau, qui comprenait plusieurs portions de bois, s’est même détérioré à certains endroits en raison d’une exposition à l’eau.

L’installation d’un système central de climatisation, prévu dans la réaffectation des espaces intérieurs, permettra aussi d’enlever l’entièreté des climatiseurs à fenêtre « et de respecter les volontés de la Ville », selon M. Vinet. Bien qu’aucune obligation de conservation ne s’applique à certaines sections des murs intérieurs, celles-ci n’ont pas été retirées afin de conserver des vestiges du passé.

Éternelles itérations

« La journée où nous allons couper le ruban, il y a quelqu’un qui va demander de modifier quelque chose dans ce qui vient tout juste d’être fini », anticipe néanmoins M. Vinet.

La vocation d’un bâtiment institutionnel comme le pavillon Roger-Gaudry est de servir à plusieurs générations. Les solutions trouvées une année peuvent devenir les problèmes de la suivante, si les normes et techniques de construction changent, par exemple.

Une telle situation s’est produite au cours de l’édification même du pavillon Roger-Gaudry, de 1924 à 1943, qui a connu une période d’arrêt de 10 ans à la suite du krach boursier de 1929.

« Un ouvrier a commencé à travailler au chantier de Roger-Gaudry et sa femme a accouché ; quand il a terminé, c’est l’épouse de son enfant qui a accouché », ironise M. Vinet quant à la durée des travaux de l’époque

Pour son homologue M. Boilard, tout bâtiment institutionnel doit effectivement construire du neuf dans une enveloppe vieillissante. Les imprévus restent ainsi prévisibles. « Je peux garantir que toutes les surprises du chantier n’ont pas encore été découvertes », assure-t-il.

Les deux responsables mentionnent aussi la flambée « hors-norme » des prix de matériaux de construction des suites de la crise sanitaire qui a fait surgir un certain nombre d’imprévus, notamment en 2023. Des estimations de coûts étaient faites un mois et devenaient désuètes le mois suivant, selon M. Boilard.

Sur les treize fabricants de fenêtres mondiaux capables d’offrir un produit compatible avec les besoins du chantier, seuls deux ont soumis une candidature à l’appel d’offres public de l’Université, et un seul s’est révélé conforme aux exigences. « Notre fournisseur unique allait avec de telles hausses de prix que nous étions dans une situation difficile pour négocier, confie M. Vinet. Je n’ai jamais connu de telles hausses dans ma carrière. »

Dans l’industrie de la construction, le commanditaire acquitte les frais d’un projet d’infrastructure au moment où celui-ci se conclut, et non à l’avance. « J’installe une fenêtre par mois, je paie une fenêtre par mois », illustre M. Boilard. Des fluctuations de prix et de coûts peuvent encore survenir d’ici la conclusion des projets prévus pour le pavillon.