La « culture de surperformance », ou hustle culture en anglais, peut se résumer en un acharnement à exceller dans plusieurs sphères de la vie. Cette tendance à vouloir utiliser chaque minute de la journée pour être productif est souvent mise de l’avant sur les réseaux sociaux comme TikTok, où le mot-clic « #sidehustle » renvoie actuellement à plus de 2,3 millions de publications. Face aux longues heures d’études et aux obligations professionnelles et familiales, les étudiant·e·s n’y échappent pas.
Pour l’étudiante de deuxième année au baccalauréat en sciences politiques Tanya Rankovic, cette réalité fait partie de sa vie quotidienne. En plus d’être étudiante, elle est également employée à temps partiel à la FAÉCUM, vice-présidente de l’Association étudiante des sciences politiques et études internationales de l’Université de Montréal (AÉSPÉIUM), co-animatrice de l’émission de radio Parallèle sur CISM et bénévole à Cap campus.
Si Tanya se passionne pour ses divers engagements, elle remarque cependant que jongler entre ces derniers est parfois difficile. « Ça amène beaucoup d’anxiété de performance, explique l’étudiante. On veut toujours faire plus et toujours faire mieux. » Malgré tout, elle reconnaît que ce stress peut se révéler utile, car il est « autant bénéfique que négatif » et « pousse à aller plus loin ».
Reconnaître les écueils du stress
Le professeur titulaire en psychologie du travail et des organisations à l’UdeM Luc Brunet partage ce constat. « Ça nous prend un peu de stress pour performer, ça nous prend un peu de “challenge”, assure-t-il. Mais quand ça dépasse nos capacités d’adaptation ou nos réserves de munitions, ça ne va plus. »
Pour réussir à naviguer dans un emploi du temps aussi dense, M. Brunet propose quelques astuces. « Il faut apprendre à travailler avec un agenda et y mettre du temps à consacrer pour chaque activité, y compris la commande d’épicerie, recommande-t-il. Il faut prévoir aussi une période pour se reposer et faire du sport, c’est très important. »
Selon le professeur, les premiers signes de l’épuisement professionnel résident dans la difficulté de concentration et le manque de sommeil. « Moins on dort, moins on va dormir, c’est un effet renforçant », souligne-t-il. Autre enjeu : il faut plus qu’une nuit de sommeil pour se remettre de la fatigue d’une seule journée de stress. Ainsi, le processus de récupération complète peut prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, selon lui.
M. Brunet soutient que l’épuisement professionnel survient surtout lorsque l’individu ne reconnaît pas ses propres limites. Se comparer à ses collègues est une manière assurée de s’égarer. Il rappelle que tout le monde n’a pas les mêmes capacités d’adaptation et que tomber dans le piège de la surproductivité est facile, surtout aujourd’hui. « On est dans une époque où on ne fait que parler de la performance, sans tenir compte de la personne à l’autre bout, déplore le professeur. Il faut apprendre à dire non. Il faut établir des priorités. »
Entre productivité et maternité
L’étudiante trentenaire au certificat en journalisme Marie Danjou mise justement sur l’écoute de soi pour traverser sa deuxième année universitaire. Après la naissance de son enfant l’année dernière, elle a espéré pouvoir profiter de son congé de maternité pour se replonger dans les études. « Ça fonctionnait, jusqu’à ce que je reprenne le travail, révèle-t-elle. Je me rendais bien compte que ça demandait beaucoup d’implication, parce que ce n’est pas simplement aller en cours. »
Le certificat en journalisme est un programme de la Faculté de l’éducation permanente (FEP). Celle-ci propose plusieurs cours en soirée et des cours en ligne, un format destiné aux étudiant·e·s ayant des modes de vie plus exigeants ou un travail à temps plein.
Or, pour Marie, concilier responsabilités et études présente plusieurs défis. « Quand tu embarques dans les études, tu n’as pas juste envie de valider un cours, poursuit l’étudiante. Tu veux avoir de bonnes notes dans toutes les évaluations. »
Elle souhaite également conserver son rendement professionnel et sa présence auprès de sa famille pendant ses études. Cependant, même à la FEP, elle éprouve parfois des difficultés. « Je trouve qu’il y a quand même de fortes exigences au certificat », admet-elle.
Remises en question
Après une première année exigeante, Marie a décidé de prendre une pause ce trimestre et de ne s’inscrire à aucun cours. Si elle ressentait initialement de la culpabilité face à cette décision, elle s’est rapidement sentie fière d’avoir pris conscience de ses besoins personnels. « On nous pousse tellement à être efficaces, à être productifs, à être des “hustlers”, regrette-t-elle. Dans toutes les sphères de nos vies, il faut cocher toutes les cases et, en fait, ça rime à quoi ? Je me pose la question. »
Selon Tanya, l’UdeM est un milieu qui invite les étudiant·e·s à avoir une vie active tout en excellant dans ses études. Bien qu’elle soit à l’aise avec ce mode de vie grâce à une bonne gestion du temps, l’étudiante admet que ses résultats universitaires ont parfois été affectés. « C’est vraiment quelque chose qui m’amène à me remettre en question, de voir que ce n’est peut-être pas le mode de vie idéal quand on enchaîne autant de choses, estime-t-elle. Quand on est dans trop de choses, on n’est dans rien, finalement. »
Dans de telles circonstances, M. Brunet rappelle que reconnaître ses bons coups et apprécier les résultats des actes accomplis est nécessaire pour subsister dans un mode de vie aussi rigoureux. « On fait une tâche parce qu’on y croit, souligne-t-il. On est étudiant parce que l’on croit à ce dans quoi on étudie, mais ce n’est pas une fin en soi. »