James Webb et les astronomes de l’UdeM

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Par Francis Hébert-Bernier
mercredi 1 décembre 2021
James Webb et les astronomes de l'UdeM
Vue d'artiste du télescope James James. Photo : NASA sur Flickr. License Creative Commons.
Vue d'artiste du télescope James James. Photo : NASA sur Flickr. License Creative Commons.
Le télescope James Webb marque le début d’une nouvelle ère dans la recherche en astronomie. Ce projet a été en partie rendu possible grâce à la contribution de membres du corps professoral, d’équipes de recherche et de membres de la communauté étudiante de l’Université de Montréal.
« Sans [le détecteur de guidage de précision], le télescope ne serait que l’ombre de lui-même. »
René Doyon, professeur titulaire au Département de physique et directeur de l’iREx.

Quelques jours avant Noël, le 22 décembre, aux premières lueurs du soleil, une centaine de scientifiques et d’ingénieurs, parmi lesquels l’astrophysicien et professeur titulaire au Département de physique de l’Université de Montréal René Doyon, se réuniront près des plages de sable chaud de la Guyane française. La tension sera palpable en raison du décollage imminent d’une fusée Ariane 5 de l’Agence spatiale européenne, qui emportera avec elle dans l’espace le fruit de près de 40 millions d’heures de travail : le télescope spatial James Webb.

Des instruments canadiens

René Doyon, professeur titulaire au Département de physique et directeur de l’iREx. Photo : Ludovic Théberge.

M. Doyon, qui est aussi directeur de l’Observatoire du Mont-Mégantic et de l’Institut de recherche sur les exoplanètes de l’Université de Montréal (iREx), s’est joint au projet en 2001 pour codiriger l’élaboration de l’un des instruments critiques du nouveau télescope. « L’instrument canadien à bord de James Webb est en fait deux instruments en un, qui ont à peu près la taille d’un lave-vaisselle », précise l’astrophysicien.

Le premier instrument est le détecteur de guidage de précision (FGS), qui sert à stabiliser le télescope. « Sans lui, le télescope ne serait que l’ombre de lui-même. Ce serait comme essayer de prendre une photo à exposition longue en tenant un cellulaire à bout de bras, les images seraient brouillées », explique M. Doyon. Bien au contraire, grâce au FGS, James Webb aura une précision sans précédent, qui pourrait permettre de voir un seul cheveu à un kilomètre de distance ou encore d’apercevoir, à partir de Montréal, quelqu’un faire un clin d’oeil à Toronto, selon le professeur.

Le deuxième instrument est l’imageur dans le proche infrarouge et spectrographe sans fente (NIRISS), lequel permettra de recueillir une foule d’informations sur les objets observés, telles que leur vitesse et leur composition chimique. « Lorsque l’on prend de la lumière, on peut en faire une image, comme avec une caméra, mais on peut aussi la prendre et la passer dans un spectrographe, précise l’astrophysicienne et coordonnatrice à l’iREx et scientifique chargée des communications pour James Webb, Nathalie Ouellette. NIRRIS fera les deux. »

Le détecteur de guidage de précision (FGS) et le spectrographe (NIRISS). Photo : NASA sur Flickr. Licence Creative Commons.

Selon elle, un spectrographe effectue un travail qui s’apparente à celui d’un prisme, une pyramide de verre qui décompose la lumière en arc-en-ciel. « Lorsque la lumière qui a traversé un gaz passe ensuite à travers un prisme, on voit des petites lignes noires dans l’arc-en-ciel, lesquelles correspondent aux fréquences de lumière absorbées par le gaz », illustre la coordonnatrice. Chaque gaz ayant sa propre signature de raies noires, les scientifiques peuvent ensuite déterminer ceux que la lumière a traversés avant de se rendre au télescope. Ils sont ainsi en mesure d’établir la composition de l’atmosphère d’une planète et de conclure si elle contient des gaz comme de la vapeur d’eau, de l’oxygène ou du dioxyde de carbone. « Ce sont des indices qui pourraient suggérer que la planète héberge de la vie », spécifie l’astrophysicienne.

Plus grand, plus loin et en infrarouge

Le télescope James Webb est vraiment dans une classe à part, selon M. Doyon. « Il faut le comparer à Hubble [NDLR : télescope spatial développé par la NASA, avec la participation de l’Agence spatiale européenne] qui avait vraiment révolutionné l’astronomie lors de son lancement en 1990, précise-t-il. Cependant, selon la longueur d’onde qu’on étudie, Webb sera cent, dix-mille voire un million de fois plus puissant que Hubble. » D’après le professeur, cette puissance vient de la taille du miroir de Webb, de 6,5 mètres de diamètre, et du fait que le télescope opère dans l’infrarouge, contrairement à Hubble, qui opère dans la lumière visible et dont le miroir mesure 2,4 mètres de diamètre. « Ça peut paraître peu, mais il ne faut pas oublier que ce qui compte, c’est l’aire et non pas la circonférence. Ce qui fait que Webb est plus de six fois plus gros », souligne Mme Ouellette.

Nathalie Ouellette, coordonnatrice de l’iREx et scientifique chargée des communications pour James Webb. Photo : Ludovic Théberge.

Au-delà de la taille du miroir, c’est toutefois la capacité du télescope à travailler dans l’infrarouge qui rend celui-ci aussi important pour la recherche en astrophysique, selon M. Doyon. « L’infrarouge est invisible pour les humains, mais beaucoup de choses y rayonnent dans l’univers, notamment les exoplanètes et les galaxies lointaines, dont la détection fait partie des objectifs principaux de la mission », détaille Mme Ouellette. Elle ajoute que les toutes premières galaxies qui se sont formées « seulement » quelques centaines de millions d’années après le Big Bang émettaient en fait de la lumière à l’opposé du spectre, soit de l’ultraviolet et du bleu. Puis, au cours des milliards d’années que la lumière a traversées pour se rendre jusqu’à nous, ces galaxies se sont éloignées progressivement en raison de l’expansion de l’univers. Cet éloignement a eu pour effet d’étirer la lumière et de la décaler vers le rouge, puis l’infrarouge. « Pouvoir regarder dans l’infrarouge nous ouvre une nouvelle fenêtre dans l’univers », déclare la coordonnatrice à l’iREx.

Toutefois, pour être efficaces, les télescopes à infrarouge doivent être opérés à très basse température, soit à moins 233 degrés Celsius, selon M. Doyon. « Pour y arriver, on doit enlever la Terre de l’équation, puisqu’en orbite de la Terre, nous subissons d’immenses différences de températures toutes les 90 minutes, alors que nous traversons l’ombre de la planète », poursuit Mme Ouellette. C’est, d’après elle, l’une des raisons pour lesquelles le télescope sera placé au deuxième point de Lagrange, situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, soit à plus de 3,5 fois la distance nous séparant de la Lune.

Les points de Lagrange sont des points d’équilibre qui existent à l’intérieur des systèmes gravitationnels, comme celui entre la Terre et le Soleil. « Un objet peut rester à ces points relativement facilement sans utiliser de l’énergie, ce qui permet de conserver du carburant et de rallonger la durée de vie du télescope », explique l’astrophysicienne. Elle précise que ces points sont au nombre de cinq et que le deuxième est celui situé derrière la Terre, par rapport au soleil.

Pas de deuxième chance

Placer le télescope aussi loin offre toutefois un désavantage majeur, selon Mme Ouellette. « Le seul problème, c’est que si quelque chose ne fonctionne pas, on ne peut pas le réparer, mentionne-t-elle. Hubble a pu être réparé, mais Webb sera trop loin. C’est pour ça qu’on a fait autant de tests. » Elle confie être particulièrement préoccupée par le déploiement de l’écran solaire. Celui-ci fera la taille d’un terrain de tennis et s’est déchiré au cours d’une phase de tests, ce qui a repoussé la mission de quelques années. « Il y a 132 mécanismes qui doivent s’opérer sans problème pour ajuster la tension sur l’écran solaire, et ça, c’est seulement pour l’une des composantes qui doivent être déployées dans l’espace », explique-t-elle.

Un outil pour la communauté étudiante de l’UdeM

Si la mise en place du télescope se déroule sans accroc, les premières images qu’il prendra et les premiers jeux de données qu’il enregistrera devraient être reçus durant l’été 2022, selon M. Doyon. Celui-ci précise que de nombreux étudiants et étudiantes de cycles supérieurs à l’Université de Montréal ont déjà apporté leurs contributions pour le projet James Webb et qu’ils auront la chance d’utiliser le télescope dans le cadre de leurs recherches. « Nous allons avoir une véritable manne de données qui va nous tomber dessus très bientôt », se réjouit-il, avant d’ajouter que, bien que l’équipe soit prête, plusieurs stages au sein de l’iREx seront offerts au cours des prochaines années. « Le Canada aura 5 % du temps d’observation de réservé pour nos contributions, alors ce ne sont pas les opportunités qui vont manquer », annonce-t-il.

 

Note de la rédaction : Lors de la mise sous presse, le décollage du télescope James Webb était prévu pour le 18 décembre 2021. Un incident a forcé un report du lancement au 22 décembre 2021. La correction a été apportée dans la présente version.