[Dossier logement] Campus MIL : Un agrandissement qui inquiète

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Par Karine Silar
mercredi 1 décembre 2021
[Dossier logement] Campus MIL : Un agrandissement qui inquiète
« Une montée importante des évictions, des "rénovictions" et des reprises peut être observée au cours des quatre dernières années. » Photo : Karine Silar.
« Une montée importante des évictions, des "rénovictions" et des reprises peut être observée au cours des quatre dernières années. » Photo : Karine Silar.
La difficulté à se loger des étudiants et étudiantes du campus MIL se répercute sur les quartiers limitrophes, principalement sur Parc-Extension, où un embourgeoisement rapide est en cours, selon des comités citoyens comme le Comité d’action Parc-Extension (CAPE). Lors des consultations publiques sur l’agrandissement du campus, tenues le 19 octobre dernier, ces groupes associatifs ont interpellé l’Université sur cet enjeu.

À Montréal, la situation du logement est tendue. Le rapport MIL façons de se faire évincer, rédigé par un collectif d’associations de Parc-Extension, dont le CAPE, indique que c’est encore pire dans ce quartier situé au nord du campus MIL. Le taux d’inoccupation y était de 0,7 % en 2019, contre 1,5 % pour le reste de l’Île. Les 2 000 étudiants et étudiantes arrivés sur le nouveau campus en 2019 sont alors entrés en concurrence directe avec les résidents et résidentes sur le marché locatif, participant ainsi à l’accélération de l’embourgeoisement du quartier, d’après le rapport.

Toujours selon celui-ci, le loyer moyen trouvé sur les sites d’annonces en mai 2020 était le double de celui estimé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement en octobre 2019, et le campus n’y serait pas étranger. « Les annonces dans Parc-Extension qui mentionnent le campus MIL, avec des formulations comme « à côté du campus MIL » ou « idéal pour les étudiants », sont en moyenne 100 $ plus élevées », a indiqué le CAPE lors des auditions de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur l’agrandissement du campus, en octobre dernier.

Le Projet de cartographie anti-éviction de Parc- Extension informe que cette situation s’accompagnerait d’un nombre croissant d’évictions. « Une montée importante des évictions, des « rénovictions » et des reprises peut être observée au cours des quatre dernières années », mentionnent les concepteurs du Projet, qui ont rassemblé les données du CAPE dans une carte interactive.

Enfin, les auteurs et autrices de MIL façons de se faire évincer soulignent que l’augmentation des prix des loyers ne permet plus aux personnes à faible revenu de demeurer dans le quartier. Contraintes de déménager vers d’autres secteurs plus abordables, elles se retrouvent alors éloignées des services auxquels elles avaient accès dans Parc-Extension.

Une promesse brisée

Pour réduire la pression qu’exercent des étudiants et étudiantes sur le marché locatif de Parc-Extension, le CAPE a recommandé, lors des auditions de l’OCPM, une stratégie de développement de résidences étudiantes abordables qui permettrait de retenir une partie de la population étudiante sur le campus. Pourtant, au moment de la construction du Complexe des sciences, en 2007, 1 058 résidences étaient prévues.

Yannick Baumann, étudiant au doctorat en géographie à l’UdeM. Photo : Karine Silar.

« Ça a juste disparu des communications à partir de 2012 », souligne l’étudiant au doctorat en géographie à l’UdeM Yannick Baumann, qui a également déposé un mémoire à l’OCPM au nom de l’Association des étudiants et étudiantes des cycles supérieurs de géographie de l’Université de Montréal (AÉÉCSGUM). « Lorsque nous avons demandé à des représentants de l’Université pourquoi l’UdeM ne parlait plus de logements étudiants, on nous a dit qu’elle jugeait que ce n’était pas un investissement rentable », poursuit-il. Dans son mémoire, il recommande, entre autres, que l’UdeM collabore avec des organismes comme l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) afin de développer des logements abordables pour les étudiants et étudiantes.

« Nous avons un service de logements hors campus que les étudiants et étudiantes peuvent consulter, déclare la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, en réponse aux membres de la communauté étudiante qui mentionnent avoir des difficultés à se loger. Bien sûr, les résidences étudiantes situées sur le campus de la montagne sont aussi accessibles aux étudiants du campus MIL et situées à distance raisonnable à pied, en vélo et en métro. »

L’enjeu du logement reste toutefois la roche dans le soulier des consultations pour l’agrandissement du campus MIL, selon l’ensemble des mémoires déposés à l’OCPM. Le chef de la division des projets urbains de la Ville de Montréal, Louis-Henri Bourque, a été interrogé sur les actions faites pour limiter l’embourgeoisement de Parc-Extension, dans le cadre de ces consultations. Il a alors expliqué que la Ville, en partenariat avec l’UdeM, se fixe un objectif total d’environ 420 nouveaux logements sociaux, communautaires et abordables sur le site du campus et à proximité (voir encadré). « Dans les champs de compétences de la Ville, on travaille pour réduire les effets de cette gentrification qui est quand même une tendance lourde à Montréal », a conclu M. Bourque.

L’UdeM se défend

La Ville de Montréal a ainsi pris en main le dossier. « [L’Université] n’est pas un développeur immobilier, précise le recteur de l’UdeM, Daniel Jutras. Si vous me demandez : « Est-ce qu’on a des plans de création de nouvelles résidences dans le plan actuel ? », la réponse est non. L’Université est sortie de cet exercice-là, mais pas en se dédouanant complètement. Elle a cédé des terrains à la Ville pour que des logements de cette nature soient construits. Elle a aussi cédé des terrains à un promoteur immobilier qui s’était engagé à construire une proportion significative de logements familiaux abordables. »

« Étant donné que l’Université ne prévoit pas de construction de logements, nous privilégions une approche collaborative avec les partenaires locaux pour appuyer les projets qui pourront répondre aux besoins des étudiants et des résidents », ajoute Mme O’Meara.

Yannick Baumann ne partage cependant pas le même avis. « C’est vraiment un manque d’engagement et de courage politique de l’Université de Montréal, estime-t-il. Il y a des universités [où c’est] soit l’université, soit des associations internes qui ont établi des partenariats avec des groupes communautaires. Concordia en est un bon exemple. Ce sont des universités qui deviennent des leaders en termes d’innovation sociale et d’engagement communautaire. Je ne comprends pas pourquoi l’Université de Montréal ne cherche pas à en faire plus. »

 

Il était une fois… le campus MIL

2006 : Acquisition par l’UdeM de l’ancienne gare de triage d’Outremont pour la construction de ce qui se nommait alors « Le campus Outremont ».

2007 : Première consultation publique par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) pour le projet du campus Outremont. Les plans indiquent alors 1 058 résidences étudiantes sur le site du campus. Elles disparaissent des publications du projet à partir de 2012.

2011 : Signature d’une entente entre la Ville de Montréal et l’UdeM sur les conditions de réalisation du campus, incluant la construction de 1 300 logements, dont 195 logements sociaux et communautaires.

2013 : Deuxième consultation publique pour le Plan de développement urbain, économique et social (PDUES) des secteurs environnants du campus MIL, avec une cible de 225 logements sociaux.

2016-2019 : Construction du Complexe des sciences et de ses aménagements.

2019 : Première rentrée sur le campus MIL.

2021 : Troisième consultation publique sur la phase 2 du campus MIL, soit la construction d’un nouveau pavillon pour l’UdeM et d’une école primaire, ainsi que des demandes de modifications réglementaires. Le rapport de la commission devrait paraître en décembre 2021.

 

En collaboration avec Francis Hébert-Bernier.