Des vélos détruits par les déneigeuses

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Par Esther Thommeret
lundi 8 mars 2021
Des vélos détruits par les déneigeuses
Le bureau des réclamations aurait reçu 85 demandes d’indemnisation pour un dommage infligé à un vélo lors d’une opération de déneigement entre le 1er décembre 2019 et le 22 février 2021. Crédit : Esther Thommeret
Le bureau des réclamations aurait reçu 85 demandes d’indemnisation pour un dommage infligé à un vélo lors d’une opération de déneigement entre le 1er décembre 2019 et le 22 février 2021. Crédit : Esther Thommeret

Chaque hiver, de nombreux vélos sont abîmés par les déneigeuses. La faute revient-elle aux employés de la Ville de Montréal ou aux cyclistes ? Ces derniers semblent peu satisfaits du service d’indemnisation de la Ville.

« J’ai barré mon vélo sur un poteau de stationnement de la Ville, et quand je suis revenue le lendemain, il était tout défoncé, témoigne la cycliste Magalie Paquet. J’ai dû le traîner pendant une demi-heure jusqu’au centre de réparation le plus proche, ça m’a coûté un après-midi de job et 200 dollars de réparations. »

D’après la Ville de Montréal, le bureau des réclamations a reçu 85 demandes d’indemnisation pour un dommage infligé à un vélo lors d’une opération de déneigement entre le 1erdécembre 2019 et le 22 février 2021.

« J’avais attaché mon vélo sur un panneau de signalisation au métro Laurier, le temps de faire une activité sportive, explique le développeur de jeux vidéo chez Ubisoft David Harvey. Lorsque je suis revenu deux heures plus tard, il était par terre et le siège fracassé, probablement par une chenillette qui passait sur le trottoir. »

À qui la faute ?

« Je l’avais attaché à un poteau de la Ville laissé pour l’hiver, donc je me suis dit que j’étais safe », détaille Mme Paquet.

Est-ce la faute de la Ville ou celle des cyclistes, qui devraient déplacer leur vélo au moment des opérations de déneigement ? Dans son guide pratique, l’avocat Pierre Rogué fournit des conseils juridiques aux cyclistes et répond à cette question. « En termes de responsabilité, si le vélo est accroché illégalement (…), les tribunaux ont tendance à effectuer un partage de responsabilité, souligne-t-il. En revanche, on présumera de la légalité d’un stationnement sur un support dédié à cet effet. »

La Ville de Montréal confirme les propos de l’avocat. « Une demande d’indemnisation pour un vélo endommagé alors qu’il était correctement stationné et attaché à un espace prévu à cette fin peut être acceptée à la suite d’une enquête démontrant la faute de la Ville, assure la relationniste au service des communications de la Ville, Marilyne Laroche Corbeil. Le dédommagement est constitué selon les règles de droit édictées par les tribunaux, soit une indemnisation en fonction de la valeur des réparations et de la dépréciation qui peut être appliquée sur les pièces. » 

Une indemnisation « insuffisante » ?

Les cyclistes qui se retrouvent dans cette situation peuvent déposer une réclamation auprès de la Ville de Montréal. « On envoie d’abord un avis au greffe de la Ville au plus vite, puisque celui-ci doit être reçu dans les quinze jours, mentionne M. Rogué. On a ensuite six mois pour déposer son recours à la cour (…). »

Pour sa part, Mme Paquet a obtenu un remboursement de 100 dollars, un montant qu’elle estime insuffisant. « La Ville ne rembourse pas les dommages moraux, émotionnels ou encore le temps que j’ai perdu, déplore-t-elle. Elle veut juste se baser sur la valeur du vélo, donc il aurait fallu que j’aie un vélo neuf de l’année pour qu’elle me rembourse dignement. »

L’étudiante en musique Laurence Gaudreau a vécu une expérience similaire l’année dernière, mais sa réclamation n’a jamais abouti. « Mon vélo s’est fait ramasser par une déneigeuse, explique-t-elle. J’ai fait une réclamation avec le devis d’un bike shop. J’ai eu une réponse qui disait que ma lettre avait été prise en compte par un inspecteur, mais je n’ai jamais eu de nouvelles. »

Par manque de preuves, M. Harvey n’a quant à lui n’a pas souhaité faire de réclamation auprès de la Ville. « Je ne pouvais rien prouver et ça me semblait beaucoup d’investissement et de temps pour un résultat incertain », précise-t-il.

« Si c’était arrivé à une auto, il y aurait eu un scandale et l’hélicoptère de TVA. »

Le vélo est le moyen de transport que Mme Paquet utilise tout au long de l’année. « C’est super émotionnel quand ton vélo est endommagé, témoigne-t-elle. Dans mon cas, c’est le vélo que ma mère m’avait donné, il y a une valeur sentimentale. Et comme je fais du vélo pendant les quatre saisons, il est vraiment mon moyen de transport principal, donc j’y porte un grand attachement. »

D’après elle, la Ville devrait davantage sensibiliser et former les déneigeurs. « Ils ne font pas assez attention, estime-t-elle. Si c’était arrivé à une auto, il y aurait eu un scandale et l’hélicoptère de TVA. Dès que ça touche aux cyclistes, c’est une autre affaire. » Depuis ce jour, Mme Paquet ne laisse plus son vélo dehors.

Cependant, cette mésaventure ne l’a pas découragée de continuer à se déplacer en vélo l’hiver. « Par contre, ce qui me décourage, c’est de faire appel à certains services de la Ville, car j’ai été déçue par leur service de réclamation, conclut-elle. Ça a été tellement long, compliqué et émotif pour seulement 100 $. Je m’attendais au moins à une lettre d’excuses. »

Des accidents « intentionnels » ?

Les employés de la Ville de Montréal ou des entrepreneurs privés effectuent le déneigement des trottoirs, selon les secteurs et les arrondissements. En tant que bénévole dans un atelier communautaire à l’UQAM, René Pruneau répare de nombreux vélos abîmés par des déneigeuses. D’après lui, ces « accidents » pourraient parfois être intentionnels. « Il y a des compétitions entre les chauffeurs, pour s’amuser, déclare-t-il. Des gens avaient montré des photos, sur le groupe Facebook Vélo d’hiverd’une chenillette qui faisait exprès une bifurcation en dehors de son chemin pour accrocher le vélo. »

De son côté, la Ville de Montréal affirme que chacun de ses employés est sensibilisé à l’importance d’effectuer ces opérations de déneigement de manière « consciencieuse ». « Ces opérations sont complexes et plusieurs obstacles sont souvent ensevelis sous la neige, ajoute Mme Laroche Corbeil. La collaboration de tous et de toutes, notamment en stationnant son vélo correctement aux endroits désignés, est donc essentielle afin d’éviter ces situations et d’assurer la sécurité de tous. »