Échange de bons procédés

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Par Sophie Mangado
mardi 24 janvier 2012
Échange de bons procédés

Troquer un cours d’informatique contre des petits plats, ça vous dit ? Lancé au Québec il y a dix ans, le système d’échange de services L’Accorderie fonctionne à plein régime et s’exporte même. Ce dispositif est une vraie manne en cette ère de précarité grandissante pour les étudiants. Pourtant, ils ne représentent encore que 12 % des membres.

Du cours de guitare à la coiffure à domicile, n’importe quel service (ou presque) peut servir de monnaie d'échange à l’accorderie. Crédit Jérôme Spaggiari

Si le principe d’échange de services colle bien à leur réalité, les étudiants sont pourtant peu nombreux parmi les «Accordeurs», tel que l’organisme sans but lucratif désigne ses membres. Ce système, qui permet de troquer des savoir-faire sans passer par l’intermédiaire de la monnaie, semble fait sur mesure pour les poches plutôt vides des étudiants (voir les encadrés).

Selon Madeleine Provencher, directrice générale du Réseau Accorderie, le manque de temps explique principalement cette situation. « Entre les cours, les travaux universitaires et souvent même un emploi, les étudiants sont débordés. Il n’est pas rare que leur horaire soit plus chargé que celui d’un travailleur à temps plein », estime-t-elle. « On peut le regretter, parce que ce sont des gens qui ont un bon potentiel de savoirs et de compétences, ce qui est intéressant pour L’Accorderie », poursuit-elle en expliquant que l’organisme n’a jusqu’à présent pas particulièrement ciblé cette clientèle.

Pourtant, les étudiants usagers de l’Accorderie ne tarissent pas d’éloges sur l’échange de services. Sébastien Jean a ainsi pu s’offrir les conseils d’une nutritionniste en échange de soutien en informatique et en électronique, et d’aide aux devoirs. « Avec un budget serré, c’est un type de service que je n’aurais pas pu assumer », explique l’étudiant en éducation à l’UQAM.

Troquer du lien social

Au-delà des avantages pratiques que présente ce système quand on est financièrement précaire, l’étudiant peut en plus y assouvir sa soif d’engagement communautaire. « On ne s’implique pas seulement pour soi mais pour le projet en lui-même. Par exemple, j’ai aidé une dame âgée à brancher sa télévision. Outre l’aspect technique du service, ça a été un moment de discussion autour d ’un café. L’Accorderie représente peut-être aussi, pour cette dame, une occasion de socialiser », illustre Sébastien Jean.

C’est en grande partie pour cet aspect social que Marie-Mathilde Riffaud a poussé la porte de L’Accorderie en 2009, alors qu’elle était encore étudiante à Ottawa, tout en vivant à Montréal. « C’est une façon de répondre à un besoin d’engagement communautaire [fréquent chez les étudiants]. L’élément moteur n’est pas tant le profit que le gain relationnel et social. On est amené à rencontrer des personnes qu’on n’aurait jamais croisées autrement », explique-t-elle. Et le plaisir de consacrer du temps à d’autres sur une base volontaire est au coeur du succès de L’Accorderie.

« Les membres ne proposent pas forcément un service parce qu’ils sont experts dans tel domaine, mais parce qu’ils aiment s’y adonner, explique Fabien Daunay. Quand une personne s’inscrit, on ne lui demande pas ce qu’elle sait faire mais ce qu’elle aime faire. Partant de là, chacun a quelque chose à offrir. C’est aussi un principe qui vient contrer l’exclusion.»

On échange, on se mélange

Favoriser la mixité sociale est un des principes fondateurs de l’organisme. Objectif atteint, selon Mme Provencher. « Il y a de tout à L’Accorderie, avance-t-elle, autant des personnes pauvres qu’aisées, isolées ou pas. Tous se côtoient dans un contexte d’égalité. Socialement et économiquement elles sont au même niveau puisque la monnaie d’échange est le temps et qu’une heure vaut une heure. » C’est une distinction notable par rapport à d’autres systèmes d’échange de services.

D’après Fabien Daunay, « les dispositifs d’échanges regroupent souvent des gens d’une même classe sociale ou d’un même milieu socioprofessionnel, et les personnes socialement isolées ou qui ont des difficultés à se mobiliser vont demeurer à l’écart de ces initiatives ».

L’autre facteur qui peut expliquer l’engagement étudiant encore faible dans l’Accorderie, c’est la distance entre les bureaux montréalais de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et de Montréal-Nord, les centres universitaires et les quartiers où vivent les étudiants. Il reste à espérer que l’Accorderie ouvre un nouveau site proche de l’UdeM. Dans le cas contraire, l’organisme est d’ores et déjà conçu pour être utilisé de façon décentralisée grâce à son site Internet.

L’Accorderie, mode d’emploi

Une fois inscrits, les membres peuvent consulter, via le site Internet de l’organisme, la liste des services offerts et les coordonnées des autres Accordeurs. Un annuaire imprimé est proposé à ceux qui n’ont pas accès à Internet. Les membres se contactent directement pour solliciter un service et en déterminer ensemble les modalités.

Pas de bénévolat à L’Accorderie, les membres sont systématiquement rétribués. Pour une heure donnée, ils mettent en banque une heure qu’ils dépenseront parmi les services disponibles. Une heure vaut une heure, quelle que soit la nature du service. Les heures sont comptabilisées dans une banque de temps informatisée et gérée par L’Accorderie. Il n’y a pas de limite dans le temps pour dépenser ses heures.

Les dollars entrent en ligne de compte seulement dans le cas où un service rendu nécessite des fournitures. Par exemple, une personne qui reçoit de l’aide pour rénover sa cuisine financera les matériaux.

Trois types d’échange sont proposés : individuel, collectif ou associatif. Un échange collectif consiste par exemple à organiser le service d’achat groupé. Au plan associatif, il peut s’agir de la participation à la bonne marche de L’Accorderie. En consacrant du temps à recruter des étudiants, par exemple, un Accordeur pourrait voir sa banque de temps créditée.

L’Accorderie en chiffres

5 accorderies dans la province à Shawinigan, Trois-Riviéres, Québec, et 2 à Montréal

1 613 membres en tout, dont 339 à L’Accorderie de Mercier – Hochelaga – Maisonneuve et 383 à celle de Montréal-nord

65 % d’accordeuses, 35 % d’accordeurs

12,25 % d’étudiants, 13 % de retraités, 30 % de salariés, 14 % de travailleurs autonomes, 25 % de sans-emploi

26 % de 18-35 ans

Près de 1 000 services offerts : transport, couture, cuisine, massage, soutien informatique et cours de langue comptent parmi les plus répandus.