Rebâtir sa communauté

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Par Paméla de Massias de Bonne
mercredi 25 février 2015
Rebâtir sa communauté
Le projet urbain de Loïc Jasmin se trouve à Haïti. Il rêve de constructions d’habitations fonctionnelles pour remplacer les bidonvilles haïtiens.
Le projet urbain de Loïc Jasmin se trouve à Haïti. Il rêve de constructions d’habitations fonctionnelles pour remplacer les bidonvilles haïtiens.
Il y a quelques semaines, le site d’actualités architecturales québécois Kollectif.net publiait sur son site internet la dissertation d’un des trois lauréats de la bourse Moriyama de l’Institut royal d’architecture du Canada 2014 (IRAC), Loïc Jasmin. Ce dernier est actuellement étudiant au baccalauréat en architecture à l’UdeM. Quartier Libre s’est entretenu avec lui au sujet de sa participation à cette édition dont le thème consistait à répondre en 1 000 mots à la question suivante : « Pourquoi je veux être architecte ? »

Qu’est-ce qui vous a poussé à participer à ce concours ?

Comme j’ai étudié au lycée français de Port-au-Prince, j’ai reçu une éducation très axée sur la rédaction. J’aime écrire, donc ce concours m’a tout de suite interpellé, d’autant plus que j’avais une histoire assez particulière à raconter. Alors, j’ai sauté sur l’occasion.

Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a marqué un tournant dans votre vie. C’est cette tragédie qui vous a poussé à devenir architecte ?

Le déclic est venu pour moi quelques jours après le séisme, lorsque j’ai commencé à concevoir le nombre de morts et de nouveaux sans-abris qu’il avait causés. J’ai compris que les édifices dans lesquels nous vivons ont une importance capitale, et c’est ainsi que j’ai fait mon choix.

Quelles sont vos influences en architecture ?

Je tente de ne pas avoir d’influences en particulier. Chaque bâtiment doit être une réponse directe au contexte et aux utilisateurs. Je ne veux pas arriver face à un projet avec des intentions ou des influences au préalable. En dehors de l’architecture, mon père est pour moi une source d’inspiration et est probablement ma plus grande influence à ce jour. C’est un grand travailleur, un homme intègre et assoiffé de connaissances qui a su me transmettre ses valeurs, et il continue de me guider tous les jours.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’architecture à Montréal ?

Je pense que l’architecture à Montréal se prépare à faire un bond en avant sur la scène internationale grâce aux efforts de personnes comme M. Moriyama et au talent de mes condisciples. Il y a des jeunes aux ambitions et aux capacités incroyables en formation en ce moment, ce qui laisse penser que l’architecture montréalaise va pouvoir mieux s’affirmer dans les années à venir. En plus de cela, un réel travail se fait ressentir chez les architectes montréalais actuellement pour redéfinir la « montréalité » et l’architecture montréalaise. Ce n’est qu’une question de temps.

Par contre, bien que je comprenne la volonté de préserver un patrimoine, je trouve que la régulation excessive peut parfois empêcher la réalisation de projets phares, qui pourraient valoriser la ville et ses architectes.

Quel est votre rêve urbain ?

Au cours de mes études, j’ai pu voir mes ambitions d’architecte changer. Alors qu’avant je m’intéressais à la conception de musées, du Palais National [NDLR : la résidence officielle du chef de l’état haïtien] et d’énormes bâtiments qui me procureraient une renommée, je m’intéresse aujourd’hui surtout à l’architecture plus petite en termes de taille.

Je suis particulièrement intéressé par la construction de maisons fonctionnelles, pour remplacer les bidonvilles haïtiens. Aujourd’hui, mon rêve urbain est à Haïti. C’est l’élimination totale des bidonvilles dans l’ensemble du pays. Il y a beaucoup de travail à faire en termes d’infrastructures, mais le problème des bidonvilles a pour moi une importance singulière puisqu’il affecte directement des millions de personnes au quotidien.

Vous voulez devenir architecte pour rebâtir votre communauté. Comment est-ce possible ?

Il faut plus qu’un homme pour reconstruire un pays, mais il ne faut qu’une seule source d’inspiration, que ce soit une personne, un slogan ou une vision, pour changer la vie d’un peuple et l’histoire d’un pays. Ma génération est particulièrement lassée de la situation actuelle d’Haïti. Je dis souvent que les États-Unis ont été bâtis sur le rêve américain, il n’y a malheureusement pas ce « rêve haïtien ». Avec des leaders charismatiques et organisés, ensemble nous pourrons rebâtir notre communauté. Il faut des gens prêts à assumer ce rôle de leader et à servir d’inspiration à une jeunesse qui, malgré ses capacités, n’aspire qu’à très peu.

Quand on a vécu un drame pareil, est-ce possible d’envisager l’architecture comme une création artistique plutôt qu’une nécessité absolue à la reconstruction urbaine ?

L’architecture ne prend pas qu’une forme physique, c’est pour moi tout un système qui facilite la vie des hommes et leur permet d’avancer en tant qu’espèce.

Être lauréat, qu’est-ce que cela a changé pour vous ?

Être lauréat m’a permis de voyager à Toronto et de rencontrer Raymond Moriyama [NDLR : architecte canadien d’origine japonaise] et son équipe, qui m’ont inspiré et qui continuent à ce jour à m’aider. Je pense en particulier à la gestionnaire des communications de l’IRAC, Maria Cook, que je remercie pour son appui continu depuis le gala.

Quels sont vos projets actuels ?

En dehors de mes nombreux projets à l’école, je m’apprête à lancer une entreprise au mois de mars. Mes projets architecturaux sont, pour le moment, entièrement scolaires. J’ai l’intention de faire du bénévolat cet été en assistant à la création de la nouvelle station des pompiers de Port-au-Prince. Je prépare aussi un projet Kickstarter [NDLR : entreprise américaine de financement participatif] pour construire des logements pour les agriculteurs de la région de Furcy en Haïti.

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