Le nerf de la recherche

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Par Patrick MacIntyre
mercredi 25 février 2015
Le nerf de la recherche
Il a des tics, un peu trop de gel dans les cheveux, porte toujours ses lunettes fumées, et scrute chaque midi son voisin de cafétéria du coin de l’œil. Bien qu’il souffre d’un degré assez sévère de paranoïa, il n’oublie jamais d’être à ses heures un grand séducteur, un maître de l’entourloupe, un champion de l’imposture.

Vous le croisez tous les jours dans les couloirs de l’Université : il mène des activités top secrètes dans un local très bien caché. Je ne peux vous en dire plus, sinon j’ai bien peur que cet éditorial s’autodétruise dans 3, 2, 1…

Si ma description vous replonge l’espace d’un instant dans l’un de vos James Bond préférés ou au cœur de l’illustre Mission impossible, je crois bien qu’il est temps de briser vos illusions. Il n’y aurait donc pas d’agent secret infiltré au fin fond d’un sous-sol de l’Université, prêt à révéler des tas d’informations confidentielles à l’État ?

On peut toujours laisser planer le doute à ce sujet, mais la réalité semble être bien différente. Les liens qu’entretiennent les universités avec le gouvernement, et notamment le ministère de la Défense nationale (MDN), consistent le plus souvent, quand ils existent, en des subventions versées à un centre de recherche, ou en des contrats octroyés pour des projets spécifiques de recherche par exemple.

Ces liens sont parfois discutés et même vivement critiqués, comme c’est actuellement le cas à l’Université McGill. Selon le collectif Demilitarize McGill, certains professeurs contourneraient les politiques de l’Université, concernant l’examen éthique de ses projets de recherches. Des allégations démenties par le directeur des communications internes de l’Université, Doug Sweet, auprès de Quartier Libre.

L’éthique, vaste enjeu, je vous le concède, qui mérite à mon sens qu’on ne le perde pas de vue et même qu’on s’y accroche fermement. À ce propos, les comités d’éthique de la recherche (CER) reconnus par l’UdeM ont pour mandat « d’assurer le respect de la dignité des participants et la protection de leurs droits », explique le conseiller en éthique de la recherche au sein du Comité d’éthique de la recherche en santé (CERES), Guillaume Paré.

Les considérations générales de l’évaluation éthique à l’Université prévoient notamment que « toute activité de recherche avec des participants humains, menée par un professeur, chercheur, étudiant, membre du personnel ou toute personne qui a un statut universitaire, doit être évaluée sur le plan de l’éthique et approuvée par un comité d’éthique de la recherche reconnu par l’Université AVANT qu’elle ne soit entreprise »*. Quand ces conditions sont réunies, les CER mesurent la balance des risques et des bénéfices du projet de recherche.

Ces considérations s’appliquent-elles à la recherche militaire ? Si l’on prend l’exemple d’une recherche fondamentale qui porterait sur le guidage de missiles, et n’impliquant pas de participants humains, celle-ci n’aurait pas à faire l’objet d’une évaluation éthique par les CER.

Dans ce cas de figure, nous n’avons d’autre choix que de croire en la bonne foi des chercheurs. Selon M. Paré, « plusieurs chercheurs, dans l’histoire et ici, ont fait preuve d’une grande sensibilité par rapport aux enjeux éthiques qui traversent le développement des connaissances malgré l’absence de participants humains dans leurs activités de recherche. » Dans une lettre datée du 2 août 1939, signée par Albert Einstein et envoyée à Franklin D. Roosevelt, le célèbre physicien théoricien mettait le président américain en garde contre les dangers de l’arme atomique en s’appuyant sur le travail de ses collègues.

On peut pourtant se demander si cette exemption d’une évaluation éthique ne risque pas un jour de conduire à des déviances de la part de certains chercheurs, le monde de 1939 et celui de 2015 étant quelque peu différents. Aujourd’hui, le lobbyisme exercé par de nombreuses industries peut nous questionner sur l’éthique de certaines recherches attribuées aux chercheurs œuvrant aussi bien dans le privé que dans le public. L’appât du gain peut parfois motiver certaines décisions.

Malgré tout, dans le cas particulier du MDN, si celui-ci s’appuie de temps à autre sur l’expertise universitaire en matière de sécurité et de défense, il ne faut pas non plus imaginer qu’il inonde l’Université de subventions afin qu’une espèce de savant fou aux cheveux hirsutes développe une nouvelle arme de destruction massive. « La plupart des recherches financées par le militaire que j’ai eu l’occasion d’évaluer concerne les anciens combattants et l’amélioration de leurs conditions de vie », assure M. Paré.

Le financement de 2,5 millions de dollars par année autrefois alloué par le MDN au Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM – Université McGill, qui développe notamment des projets de recherche, aurait été purement et simplement coupé il y a environ deux ans, dans le cadre des compressions budgétaires.

Aussi, selon M. Paré, le CERES n’aurait évalué qu’un seul projet de recherche financé par un organisme militaire sur près de 600 projets de recherche évalués depuis le 1er janvier 2011.

L’Université dans la mire du MDN : mythe ou réalité ? Encore faut-il qu’on nous dise tout.

*Source : recherche.umontreal.ca