Quand le y’able descend à Lavaltrie

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Par Pascaline David
mercredi 29 septembre 2010
Quand le y'able descend à Lavaltrie
Le nom «Chasse-galerie» est tiré d'un conte d'Honoré Beaugrand. Crédit: Leslie Doumerc.
Le nom «Chasse-galerie» est tiré d'un conte d'Honoré Beaugrand. Crédit: Leslie Doumerc.

Sur une terrasse ornée de torches anti-bibittes, l’artiste montréalais Socalled tente désespérément de réanimer un accordéon malade bandé de ruban métallique. À un mètre de lui, entre deux tentatives de faire décoller cette tranche d’orange du fond de sa pinte de bière, un jeune homme questionne maladroitement l’artiste sur sa perception de l’univers musical. Dans le coin droit, un enfant de sept ans sirote nonchalamment une boisson gazeuse avec ses grand-parents. Que se passe-t-il ici ? C’est la Chasse-galerie.

Lavaltrie, dernière banlieue à l’est de Montréal, est un lieu dont la singularité repose principalement sur la présence du Café culturel de la Chasse-galerie, une salle de spectacle coopérative de 80 places mise sur pied en juillet 2006. Avant la Chasse-galerie, il y avait bien Le Magnifique, salon de quilles 12 étoiles, et La Frite, restaurant de cuisine chinoise ; mais en termes de culture, un manque se faisait sentir. «Une coopérative émerge toujours d’un besoin, explique Jean- Sébastien Martin, directeur général de l’établissement. Avant, à chaque fois qu’on parlait de Lavaltrie dans les médias, c’était pour évoquer un drame familial ou un événement lié aux motards. » Projet imaginé dans un cadre académique, construit sur les reliques d’une vieille grange qui a dû être retapée du plancher jusqu’au plafond, le Café culturel de la Chasse-galerie est devenu depuis quelques années l’incontournable culturel de la région.

Le nom «Chasse-galerie» est tiré d'un conte d'Honoré Beaugrand. Crédit: Leslie Doumerc.

Fierté culturelle 101

« La Chasse-galerie fait en sorte que les gens de la région ne considèrent pas la culture comme quelque chose qui se passe seulement à la télévision, considère Éric Violette, comédien et musicien. Les gens capotent à être en contact direct avec la culture.» Ce samedi-là, en aprèsmidi, Socalled offre, sans formalité, un atelier sur la créativité devant une vingtaine d’individus. Plus tard, il donnera un désopilant spectacle sur la scène intimiste de l’établissement. Il est loin d’être le premier artiste à fouler les planches de La Chasse-galerie.

L’aventure a commencé avec Linda Lemay, puis a interpellé, entre autres, Vincent Vallières et Karkwa, et se poursuit, en février, avec le chanteur pop britannique établi à Montréal David Usher. David Usher ? « Son agent l’a convaincu en lui expliquant que La Chasse-galerie est une place où, on ne sait pas trop pourquoi, tous les artistes vont», rigole Jean-Sébastien Martin, en expliquant que pour roder des spectacles, la salle présente des avantages considérables, dont une acoustique intéressante et une proximité avec le public qui offre une vue imprenable sur l’appréciation des performances. «Quand ils testent quelque chose, ils ont la réaction du public en pleine face», dit-il.

Afin d’offrir une combinaison d’artistes connus et moins connus, le directeur de la programmation négocie avec les agences : contre plusieurs artistes professionnels émergents, un gros nom. «C’est un retour de la balle, une monnaie d’échange », explique-t-il, en précisant qu’il fait partie de la mission de la coopérative d’offrir aux artistes locaux des installations de spectacle accessibles. Et comment une salle de spectacle de 80 places qui vend des billets et de la bière à des prix honnêtes survitelle ? Sans la contribution de la caisse populaire Desjardins, la salle de spectacle n’existerait pas. Le bâtiment est prêté par la Ville. « Plutôt que d’avoir des objectifs de rentabilité, on vise à générer une stabilité d’emploi et à fournir des conditions de travail optimales. La coopérative, c’est un moyen de se sortir du capitalisme extrême et de l’ultralibéralisme », commente le directeur général. Au coeur des spectacles, projections cinématographiques, expositions et événements de tous acabits présentés à La Chassegalerie, il semble y avoir l’esprit d’équipe.

Un certain samedi soir, Socalled, après avoir fait, l’accordéon aux épaules, le tour de la salle à quelques reprises, performe une composition inédite. « On a attendu d’être à Lavaltrie pour faire ça, dit-il. On nous avait dit qu’il y aurait un très bon public, et c’est vrai ! » Un homme à la tête blanche, visiblement enflammé par le rap de Socalled, scande son appréciation tout en soufflant dans sa bouteille de bière pour ajouter une note personnelle au spectacle. Toutes les générations occupent l’espace, à savourer quelque bière de L’Alchimiste, micro-brasserie établie tout près, à Joliette.

Avec tout ça, quelques-uns se rappellent du conte d’Honoré Beaugrand, qui a donné son nom à l’endroit. Des bûcherons y font un pacte avec le diable afin d’aller voir leurs femmes et de chasser l’ennui. Certains soirs, on croirait que le diable est descendu à Lavaltrie.