Au bout du fil

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Par Aude.Garachon
mercredi 29 septembre 2010
Au bout du fil

«Être sur une ligne, ça me rassure, tu vas de l’avant, c’est très intérieur », confie Nicolette Hazewinkel, artiste équilibrée : elle est fildefériste. Nouer une relation durable avec un fil de fer suppose une implication du corps et de l’esprit à plusieurs niveaux. Portrait d’une discipline touchée par la grâce.

«J’ai voulu faire du fil de fer parce je trouvais ça beau… et aussi pour le costume ! » Du fil de fer, Nicolette Hazewinkel peut en parler des heures. Cette artiste, qui a notamment exercé ses talents au Cirque du Soleil, évoque l’idée qu’elle se fait de son art : «Les fildeféristes sont en général très calmes. Il faut absolument être capable d’être concentré. Ça ressemble un peu au yoga.» Ce qui n’empêche pas l’artiste de s’amuser sur le fil, danser, jongler ou mimer : «On peut vraiment jouer, on n’est pas limité par la technique. Si tu es bon en escrime sur le sol, tu peux le faire sur le fil. » Jouer, oui. Mais après combien d’heures d’entraînements !

Alexandra et François, la vingtaine entamée, suivent tous deux une formation pour devenir fildeféristes. À les observer, dans la grande salle d’entrainement de l’École nationale de cirque de Montréal, cette pratique ressemble presque à de la danse. Tandis que l’un enchaîne des sauts de cabris avec élégance, l’autre, ombrelle dans une main et le pied dans l’autre, reste en équilibre fragile sur ce mince câble. Concentrés et calmes, ils ne sont pourtant pas les seuls dans ce grand hall : un jeune homme torse nu fait tourbillonner des massues dans les airs, une étudiante virevolte sur un trapèze, une autre encore s’entremêle dans de longs tissus : à l’École nationale de cirque, il y a de quoi s’émerveiller. Parmi les dix disciplines enseignées, cinq étudiants ont choisi le fil de fer, pratiqué dix heures par semaine. Ils disposent aussi d’une formation générale alliant acrobatie, trampoline, danse, théâtre, ou encore français, histoire et philosophie : une formation complète qui permet aux étudiants d’acquérir une culture générale nécessaire pour mener à bien un projet artistique. En somme, beaucoup de travail et d’entraînement pour un art très exigeant, comme en témoigne Alexandra : « Il faut vraiment être bon pour qu’une compagnie investisse dans ce type de matériel. »

C’est là tout le problème. Le fil de fer requiert en effet une installation très lourde : il faut pouvoir briser le plancher ! C’est ainsi que de nombreuses salles de cabarets refusent les numéros sur fil de fer, contrairement aux cirques sous chapiteaux. Mais il n’y a que très peu de cirques au Québec. Voilà pourquoi de nombreux funambules traversent l’Atlantique pour se rendre en Europe, comme Stéphanie Bouchard et Madeleine Prévost-Lemire, deux diplômées de l’École nationale de cirque de Montréal. Leur activité consiste maintenant à se faire connaître. «C’est un triple travail de recherche, de prise de contact et d’entraînement », témoigne Stéphanie. Madeleine s’est elle installée de façon plus ou moins définitive en Allemagne. Pour elle aussi, de longues heures de son temps sont dédiées à du travail de relation publique. Afin de valoriser son numéro, elle cherche à mettre en lumière la poésie et le charme de cet art, que certains spectateurs ne perçoivent pas : «Le fil de fer, c’est parfois ingrat comme discipline. Quand tu te rates, tout le monde s’en rend compte. » Même une chute ne pourrait ébranler un fildefériste : ces virtuoses, qui ont l’habitude de l’instabilité, tant dans leur art que dans leurs contrats, semblent avancer dans la vie avec une étonnante tranquillité.

Le fildefériste évolue généralement à une hauteur maximale de trois mètres, ce qui permet un travail plus artistique que le métier de funambule, qui côtoie les hauteurs et garde son équilibre à l’aide d’un balancier. «En hauteur, tu as beau sourire ou faire le chat, on ne te voit pas », commente Nicolette Hazewinkel.