Papa et maman vont à l’école

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Par Paul Fontaine
lundi 13 février 2023
Papa et maman vont à l'école
Lecture du jour : Code civil du Québec. Lecture du soir : Une patate à vélo. Photo | Juliette Diallo
Lecture du jour : Code civil du Québec. Lecture du soir : Une patate à vélo. Photo | Juliette Diallo
Des statuts de «parent aux études» sont en cours de création à l’Université de Montréal et à HEC Montréal. Les accommodements prévus par ces politiques sont applaudis par les communautés étudiantes. Malgré tout, des problèmes demeurent, notamment à propos du financement des études supérieures lors d’un congé parental.

 Pour éviter que les nuits en pointillé ne compromettent le parcours des parents aux études, plusieurs mesures de conciliation famille-études sont présentement sur les planches à dessin de l’UdeM et de HEC Montréal. Les deux établissements pourraient adopter, indépendamment l’un de l’autre, des politiques sur les parents aux études d’ici la fin de la session d’hiver, selon des étudiantes impliquées dans ces dossiers.

Politique attendue depuis longtemps à l’UdeM

« Il y a plusieurs mesures comprises dans cette politique, dont le statut d’études à temps plein pour les étudiants à temps partiel ayant une personne à charge », explique la secrétaire générale de la FAÉCUM, Radia Sentissi. La Fédération siège d’ailleurs au comité d’élaboration de ladite politique, qui cible à la fois les parents aux études, les étudiant·e·s enceintes ainsi que les proches aidant·e·s. Le statut d’études à temps complet, qui pourrait être octroyé même lors d’un congé parental, garantit notamment l’accès aux bibliothèques de l’UdeM et l’admissibilité au tarif étudiant de la Société de transport de Montréal (STM).

L’UdeM s’est engagée à adopter cette politique à la suite d’une série de recommandations présentées par la FAÉCUM en 2020. Dans son plan d’action pour l’équité et l’inclusion 2020-2023, l’Université prévoyait toutefois de l’adopter d’ici décembre 2021. Malgré ce retard, la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, assure que les travaux sont entamés. « Un groupe de travail a été créé et les travaux ont début à l’automne dernier, indique-t-elle. Le comité est à l’étape de rédaction. »

La création d’un statut de « parent aux études » est également prévue. Il permettrait notamment de faire reconnaître l’absence en raison de la maladie d’un enfant comme motif sérieux pour la reprise d’une évaluation. Toutefois, les critères de ce statut, comme l’âge auquel un enfant n’est plus considéré à charge, n’ont pas encore été établis. À l’Université de Sherbrooke, celui-ci est fixé à 18 ans, alors qu’il est de 13 ans à l’Université Laval et de 7 ans à l’UQAM.

De toute évidence, plusieurs détails restent à préciser. Radia Sentissi espère tout de même que la politique sera adoptée d’ici la fin de la session. « On a hâte de l’avoir pour la communauté étudiante », déclare-t-elle.

À HEC Montréal, un dossier porté par les étudiant·e·s

« Quand je suis entrée en poste, il n’y avait rien qui était fait pour les étudiants parents », souligne la vice-présidente aux affaires académiques PhD de l’Association des étudiants aux cycles supérieurs de HEC Montréal, Isabelle Roberge- Maltais. À ce titre, elle pilote depuis plus d’un an le dossier des parents aux études, en collaboration avec les Services aux étudiants de l’École.

« Il n’y avait rien de prévu dans les politiques de HEC, que ce soit par rapport aux assurances [de soins de santé et dentaires offertes par l’ASEQ], aux permis d’études des étudiants étrangers ou à l’accessibilité à la bibliothèque, poursuit-elle. Ça laisse beaucoup d’incertitudes aux étudiants. »

Isabelle Roberge-Maltais travaille actuellement sur l’élaboration d’une politique pour pallier ce manque d’accommodements. « Fin janvier, la version deux aura été revue par le registrariat, et après ça, on pourra la remettre au secrétariat général, précise-t-elle. D’ici la fin de la session d’hiver, on espère que tout sera terminé. »

Elle-même doctorante en administration à HEC Montréal et enceinte, Isabelle insiste sur l’importance d’avoir une politique institutionnelle claire. Selon elle, celle-ci évitera le traitement au cas par cas, avec tout son lot de discrimination envers les étudiant·e·s enceintes, particulièrement en milieu de recherche. « Ça vient clarifier que l’École est d’accord avec le fait que les étudiants peuvent avoir des enfants durant leurs études, ajoute-t-elle. Ça donne aussi une marche à suivre pour demander un congé parental. »

Une fois cette politique adoptée, un statut de « parent aux études » pourrait être créé à HEC Montréal. Comme ce qui est élaboré à l’UdeM, la maladie infantile pourrait ainsi être reconnue comme motif valable pour l’absence à un examen. « Habituellement, c’est géré au cas par cas, déplore Isabelle. Sauf que ça ne devrait pas être comme ça. Ton enfant, c’est l’extension de toi-même lorsqu’on parle de santé. »

Isabelle Roberge-Maltais savoure ses dernières semaines de quiétude avant l’arrivée de son bébé. Photo | Juliette Diallo

Précarité financière aux cycles supérieurs

Autant à l’UdeM qu’à HEC Montréal, une question est laissée en suspens : le financement des études supérieures lors d’un congé parental. C’est notamment le cas du doctorant en administration à HEC Montréal Adrien Simmonot-Lanciaux. Devenu père pendant son doctorat, il a choisi de ne pas prendre de congé parental, faute d’un soutien financier adéquat.

Si les programmes de bourses d’études supérieures comme ceux du Conseil national de recherches Canada et des Fonds de recherche du Québec offrent des suppléments lors d’un congé parental, il n’est en pas de même pour les bourses institutionnelles. D’une durée fixe, celles-ci ne peuvent être prolongées, même en cas d’interruption des études en raison d’une naissance.

« Ce que m’a fait comprendre la direction du programme, c’est que je pouvais arrêter pendant un trimestre mon doctorat et le reprendre après, explique Adrien. Je pouvais même toucher le financement que j’aurais dû recevoir pendant ce temps d’arrêt. Par contre, mon financement n’aurait pas été prolongé d’un trimestre de plus à la fin. »

Cette réalité est également celle à laquelle s’est buté Alex Baudet, lui aussi doctorant en administration à HEC Montréal. Boursier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), il a pour sa part opté pour un congé parental de six mois, touchant ainsi le supplément prévu. Néanmoins, le financement que lui verse HEC Montréal ne sera pas prolongé. « Le financement est garanti pour les quatre premières années, peu importe que tu aies pris un congé parental ou non, souligne-t-il. Moi, j’en ai pris un. Donc ils [NDLR : les responsables des programmes de bourses de HEC Montréal] ont continué à me verser ma bourse, mais l’année prochaine, je ne toucherai plus rien. »

À l’UdeM, une situation similaire est soulevée par l’étudiante à la maîtrise en droit Arianne Morin-Aubut. Mère d’un petit Auguste depuis l’hiver dernier, elle n’a pu compter durant son congé de maternité que sur le supplément prévu par le CRSH, sans profiter des bourses institutionnelles. « Les bourses que l’UdeM offre pour les gens qui prennent un congé parental ne sont que pour les gens au doctorat ou pour ceux à la maîtrise et déjà inscrits au doctorat », soulève-t-elle.

Si Alex et Arianne ont pu s’appuyer sur le supplément prévu par le CRSH, tous·tes les étudiant·e·s ne le peuvent pas. « Il faut se rendre compte qu’on n’est pas forcément toutes et tous égaux face aux bourses de recherche, précise Adrien. Lorsque j’ai commencé mon doctorat, je n’étais pas encore résident permanent et de ce simple fait, je n’étais pas admissible aux bourses du fédéral. »

« Les oubliés du RQAP »

La précarité des parents aux études supérieures se trouve exacerbée par les règles du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). Les prestations offertes aux personnes en congé parental sont déterminées en fonction de leur salaire. Toutefois, le RQAP exclut les bourses de ses calculs, alors même qu’elles représentent pour nombre d’étudiant·e·s leur principale source de revenus. Résultat : la subvention n’est alors plus que de quelques centaines de dollars par mois*, un montant insuffisant pour une jeune famille.

« C’est un peu un piège pour nous, estime Alex. Pour recevoir le financement institutionnel, on n’est pas supposé travailler durant nos études, du moins, on est supposé minimiser le nombre d’heures. De l’autre côté, le RQAP ne considère pas les bourses dans son calcul. »

Arianne pointe du doigt les critères d’admissibilité au Régime, qu’elle juge trop contraignants pour les étudiant·e·s, comme le revenu minimal de 2 000 dollars. Pour être admissible, le parent doit présenter un revenu assurable d’au moins 2000 dollars sur la période de référence, typiquement la dernière année, tout en ayant payé une cotisation au RQAP. Cependant, les bourses ne sont pas incluses dans le calcul du revenu annuel. « Clairement, c’est fait pour les gens qui ont un salaire annuel, analyse-t-elle. Honnêtement, les étudiants, on est un peu les oubliés du RQAP. »

Pour Adrien, la somme offerte par le RQAP, soit la seule subvention sur laquelle il pouvait compter, était dérisoire. « Quand j’ai mis dans la balance toutes les contraintes qu’il y avait au niveau financier, je me suis vite rendu à l’évidence que je n’allais pas pouvoir prendre un congé de parentalité », regrette-t-il.

Arianne Morin-Aubut prend une pause le temps d’allaiter le petit Auguste. Photo | Courtoisie | Arianne Morin-Aubut

Importance du congé parental

« J’aurais bien aimé prendre quelques mois et partager ça avec mon épouse, confie Adrien, père depuis maintenant deux ans. En plus, je pense que c’est quelque chose dont j’aurais pu avoir besoin, parce que la naissance de mon fils a été un événement qui a pas mal bouleversé ma vie. »

Son fils est né en février 2021, lors du confinement et du couvre-feu. Adrien, qui poursuivait ses études doctorales, a vécu un véritable « enchevêtrement de contraintes ». Sa famille et celle de son épouse, toutes deux en France, n’ont notamment pas pu être présentes lors des premiers mois de vie de son enfant. Se sont également ajoutés « l’isolement et la solitude la plus totale ». Le doctorant révèle avoir présenté son jeune enfant à ses ami·e·s « sur un bord de trottoir gelé », à défaut de les recevoir chez lui.

« J’ai eu besoin d’accompagnement au départ pour arriver à traverser ça, avoue-t-il. J’ai fait un baby blues de père. C’est quelque chose dont on parle peu, mais ça arrive, et ça m’est arrivé. » Il salue la sensibilité et la compréhension dont ont fait preuve son directeur de thèse et ses professeur·e·s.

« Ce qui a été assez formidable à HEC, c’est qu’on a un service aux étudiants qui propose un soutien psychologique, poursuit Adrien. J’ai pu bénéficier de plusieurs séances d’accompagnement gratuites. Ensuite, j’ai été redirigé vers une autre clinique de psychologues, avec un certain nombre de séances à prix réduit, une partie de ce coût étant pris en charge par HEC. Donc, on a quand même de gros avantages et je tiens à le souligner. »

Le doctorant s’estime également « absolument chanceux » que son fils ait obtenu une place en garderie, en l’occurrence au Centre de la petite enfance (CPE) de HEC Montréal, où une priorité est accordée aux enfants des étudiant·e·s et des employé·e·s. « C’est une chance incroyable, parce qu’on a une structure d’accueil qui revient beaucoup moins cher qu’une garderie et qui est sur mon lieu de travail, souligne-t-il. C’est un luxe extraordinaire. » 

Les autres universités québécoises

Depuis janvier 2023, l’Université du Québec à Montréal octroie un statut de parent aux études, qui donne accès à des bourses institutionnelles et au tarif réduit de la Société de transport de Montréal (STM). Néanmoins, dans une lettre ouverte publiée le 13 janvier dans le Montréal Campus, des membres de la communauté uqamienne jugent que les critères d’éligibilité sont trop sévères. De toutes les universités québécoises délivrant un tel statut, l’UQAM est celle qui présente les critères les plus restrictifs et qui offre le moins d’accommodements.

Depuis l’automne 2020, une politique relative aux parents aux études est en vigueur à l’Université de Sherbrooke (UdeS). Les critères d’admissibilité sont les moins restrictifs à ce jour. « C’est pour légitimer le fait d’être parent, explique le directeur général des Services à la vie étudiante de l’UdeS, Luc Sauvé. On est parent avant d’être étudiant. » Les parents aux études ont droit à des accommodements comme la reprise d’une évaluation en cas d’absence pour maladie infantile. M. Sauvé ajoute que le corps professoral est sensibilisé aux réalités parentales afin d’assurer un « partage des responsabilités ».

L’Université Laval a été la première à adopter, dès 2019, une politique relative aux parents aux études. La grossesse et les obligations parentales sont reconnues comme des motifs sérieux pour demander un accommodement. À cette politique s’ajoutent des bourses, un accès 24 heures sur 24 aux bibliothèques et l’admissibilité au tarif réduit pour les transports en commun.

* https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1873975/parents-etudiants-temps- plein-accommodements-uqar-ma-place-aux-etudes

ERRATUM

Dans une version précédente de cet article et dans la version publiée dans le 4e numéro de notre magazine (février 2023), il est question d’une « cotisation minimale de 2 000 dollars » concernant les critères d’admission au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), ce qui est erroné. Le parent doit plutôt présenter un revenu assurable d’au moins 2000 dollars sur la période de référence (typiquement, la dernière année) tout en ayant payé une cotisation au RQAP. Il n’y a toutefois pas de minimum à cette cotisation.