Les tourments des journaux étudiants

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mardi 11 avril 2023
Les tourments des journaux étudiants
« On est une survivance du français à McGill », observe le rédacteur en chef du Délit, Léonard Smith. Photo | Juliette Diallo
« On est une survivance du français à McGill », observe le rédacteur en chef du Délit, Léonard Smith. Photo | Juliette Diallo
Un référendum existentiel à l’Université McGill et une campagne de sociofinancement à l’UQAM : les journaux étudiants du Québec connaissent décidément une année agitée. Tandis que les difficultés financières deviennent monnaie courante, les journalistes universitaires tiennent le coup tant bien que mal afin d’offrir à leur lectorat des articles qui vont à contresens de l’info-divertissement.
« Appartenir au média francophone à McGill est aussi une fierté, on ne se le cachera pas. Ça donne une visibilité au fait français à McGill. »
Léonard Smith, rédacteur en chef du Délit

C’est une mesure de dernier recours. Alors que ses revenus publicitaires fondent comme neige au soleil, que ses coûts d’impression s’envolent et que son financement s’étiole, le journal étudiant de l’UQAM, le Montréal Campus, a été contraint de lancer une campagne de sociofinancement le 6 mars dernier. Un appel au plus grand nombre pour équilibrer un budget qui oscille entre le vert et le rouge depuis des années, mais aussi pour s’équiper décemment en matériel audiovisuel. L’objectif de la rédactrice en chef et étudiante au baccalauréat en communication, spécialisation journalisme, Marie-Soleil Lajeunesse : récolter 3 500 dollars, l’équivalent de 10 cents par étudiant·e.

La réponse du public a été immédiate. En 24 heures, 1 000 dollars étaient amassés. Une journée plus tard, le pactole doublait. Puis 10 jours après, l’objectif était dépassé. « Je ne m’attendais pas à cette vague de dons si rapide quand on a lancé notre campagne, s’étonne Marie-Soleil. Elle est la dernière manière pour le Montréal Campus d’amasser de l’argent, parce que le journal n’a pas d’autres options à court terme. Je crois que plusieurs personnes ont été touchées par notre situation, qui met aussi en péril le développement du journal au cours des prochaines années. » 

Cotisations étudiantes 

Car là est bien le nerf des aléas financiers du Montréal Campus. Puisqu’il n’est pas reconnu comme « groupe étudiant d’envergure », le journal ne peut pas compter sur une cotisation prélevée à même la facture des droits de scolarité. Il doit plutôt négocier chaque année son financement auprès des sept associations étudiantes facultaires et des Services à la vie étudiante de l’UQAM. Et cette année en est une d’attrition : le Montréal Campus jongle avec un budget plus serré que jamais, soit 6 000 dollars. 

Or, les dépenses n’ont pas suivi la même tendance. Le budget est entièrement englouti par l’impression du journal et la maintenance du site Web. Outre deux journalistes stagiaires, l’ensemble de l’équipe est bénévole. La marge de manœuvre est nulle et développer une offre multimédia sans faire de coupes quelque part est impossible. « Mais on ne peut pas couper, surtout pas l’édition papier ! » affirme Marie- Soleil. Elle rappelle que l’édition imprimée assure une visibilité sur le campus, tout en étant une expérience formatrice pour les étudiant·e·s qui participent à sa conception. 

« Le problème est qu’on est rendu en 2023, que le Montréal Campus est une grande école de journalisme, mais que nous n’avons aucun matériel audiovisuel », poursuit-elle. Pour remplir pleinement ses visées éducatives, le journal doit impérativement entrer dans le 21e siècle, selon sa rédactrice en chef, ce qui signifie s’équiper en matériel audiovisuel et logiciels de montage de qualité professionnelle. « Dans notre baccalauréat, nous avons des cours de journalisme télé et radio, explique Marie-Soleil Lajeunesse. Mais dans les médias étudiants, nous ne pouvons pas poursuivre nos apprentissages, parce que nous n’avons pas le matériel nécessaire. » 

Du côté de Quartier Libre, une cotisation de 2 dollars par étudiant·e est prélevée à chaque session. Celle-ci représente l’essentiel des revenus du média, et est remboursable sous présentation d’une facture. Bien qu’elle n’ait pas été augmentée depuis des années, elle assure au journal un financement stable. Quartier Libre fait toutefois lui aussi face à l’inflation ; ses dépenses augmentent alors que ses revenus restent inchangés. 

Les soucis pécuniaires ont également semé l’inquiétude récemment au sein des journaux The McGill Daily (anglophone) et Le Délit (francophone) de l’Université McGill. En effet, la cotisation semestrielle de six dollars par étudiant·e, que se partagent les deux hebdomadaires, n’est jamais assurée. Tous les cinq ans, la communauté étudiante se prononce sur sa reconduction à l’issue d’un « référendum existentiel ». En novembre dernier, 67,7 % des votant·e·s ont appuyé le maintien de la cotisation, assurant ainsi la « survie » des deux journaux. Et c’est bien de survie dont il s’agit, car sans cette source de revenus, « Le Délit fermait ses portes », assure son rédacteur en chef et étudiant au Département des littératures de langue française, de traduction et de créaton, Léonard Smith. 

Comme pour le Montréal Campus, les revenus publicitaires sont insuffisants pour répondre aux besoins des deux journaux mcgillois. « Si on ne recevait plus la cotisation, ça limiterait nos capacités à diffuser du contenu de façon efficace, soutient Léonard Smith. Et pas question d’aller quêter quelques sous à l’administration universitaire. « Cette cotisation-là garantit notre indépendance à l’égard des influences externes, précise-t-il. C’est une liberté que nous voulons garder. L’indépendance de couvrir les enquêtes que nous voulons, c’est vraiment important pour nous. » 

C’est pourquoi la Société des publications du Daily (SPD), l’organisme qui chapeaute Le Délit et The McGill Daily, a demandé à la communauté étudiante de se prononcer sur une augmentation de 1,50 $ de la cotisation. Celle-ci n’a en effet pas été modifiée depuis 2008. À l’issue du référendum d’hiver 2023 de l’Association étudiante de l’Université McGill, 57,6 % des voix se sont exprimées en défaveur de cette hausse. « Nous comptons refaire campagne à nouveau à l’automne 2023 pour tenter d’obtenir une majorité de voix en faveur d’une augmentation de 1,50 $ perçue par la [SPD] », avertit Léonard Smith. 

Sans oublier que l’existence même du Délit représente « une survivance du français » au sein de l’Université, située dans Milton-Parc, rappelle son rédacteur en chef. « L’indépendance du contenu touche également à la langue, soulève-t-il. C’est un peu un vecteur d’identité, la langue. Appartenir au média francophone à McGill est aussi une fierté, on ne se le cachera pas. Ça donne une visibilité au fait français à McGill. » 

La rédactrice en chef du Montréal Campus, Marie-Soleil Lajeunesse, estime que le budget 2022-2023 est probablement le plus petit depuis la fondation du journal. Photo | Juliette Diallo

Assurer la relève 

Unique journal francophone à l’Université McGill depuis 1977, Le Délit fait chaque année face à « un beau défi de recrutement », note Léonard Smith. En effet, un·e étudiant·e sur cinq est francophone, selon l’établissement. « C’est assez difficile d’aller chercher dans un bassin minoritaire des personnes qui seraient intéressées à occuper un poste qui est très demandant sur les plans du temps et de l’engagement », observe-t-il. Il ajoute qu’une fois déniché·e·s, ces journalistes font preuve « d’un grand dévouement envers Le Délit ». 

Ce son de cloche résonne au sein d’autres universités du Québec. La rédactrice en chef du Montréal Campus mentionne que son équipe est presque complète, à l’exception du poste de vigie de la diversité et de l’inclusion, qui demeure vacant. En comparaison avec l’année dernière, un éditorial du journal étudiant de l’UQAM faisait état d’un « recrutement de collaborateurs et collaboratrices devenu périlleux ». Marie-Soleil Lajeunesse impute les difficultés passées à la lente reprise des activités sociales lors de la pandémie de la COVID-19. « On a eu nos premières années d’université à distance, donc les gens se sont peut-être moins attachés aux médias étudiants », analyse-t-elle. Cette année, un vent de fraîcheur souffle dans la salle de rédaction du Montréal Campus grâce à plusieurs étudiant·e·s de première année, qui se sont joint·e·s à l’équipe, selon Marie-Soleil Lajeunesse. 

À l’Université Laval, l’Impact Campus compte sur sa plus grande équipe depuis trois ans. La pandémie a en effet eu l’effet d’une douche froide pour le recrutement de journalistes. Une opération de « re-séducction » a donc été amorcée cette année et plus d’une quinzaine de collaborateur·rice·s bénévoles ont répondu à l’appel du journal mensuel. Un bond de géant, alors que seulement trois garnissaient les rangs du média il y a encore un an. « C’est vraiment surprenant, s’étonne la rédactrice en chef et étudiante à la maîtrise en études littéraires, Emmy Lapointe. On posait des affiches de recrutement, mais on n’y croyait pas vraiment. » Elle estime que le grand degré de liberté offert aux collaborateur·rice·s explique en partie le regain en popularité de l’Impact Campus. « Les gens veulent écrire et on leur permet de le faire à leur façon », souligne-t-elle.

Il n’en demeure pas moins que les journaux étudiants font face à un autre problème de recrutement : celui de la diversité. La plupart des collaborateur·rice·s et des rédacteur·rice·s étudient en journalisme, en communication ou en science politique. Pour l’éditrice en chef de The Campus et étudiante au baccalauréat en psychologie à l’Université Bishop, Isabella Halliday, la priorité est donc d’élargir le bassin des contributeur·rice·s. « Je veux vraiment que les gens s’impliquent, assure-t- elle. Je tente d’attirer l’attention des étudiants de tous les départements. Je veux que tout le monde écrive pour The Campus. » Avec 16 journalistes sous sa direction, ce qui est particulièrement élevé étant donné que 2 900 étudiant·e·s fréquentent l’Université, elle estime encore nécessaire le recrutement de nouveaux visages.

Léonard Smith abonde dans le même sens. « On ne veut pas se cantonner à une seule perspective qui serait celle de nos éditeurs, soutient le rédacteur en chef du Délit. On veut aussi aller chercher des voix divergentes, qui viendraient mettre au défi certaines idées reçues. » Selon lui, un recrutement continuel est de mise, car la diversité, au même titre que l’indépendance, est garante de la qualité des articles.

Web ou papier ? 

Les médias étudiants font-ils preuve d’entêtement en voulant conserver leur édition imprimée malgré la chute des revenus publicitaires et la montée des coûts d’impression ? Le virage numérique est-il inévitable ? 

Selon les quatre rédacteur·rice·s en chef que Quartier Libre a rencontré·e·s, les tirages leur assurent une précieuse visibilité sur les campus, et la conception des maquettes est formatrice. « Le magazine est ce qu’on a fait de mieux dans les dernières années, insiste Emmy Lapointe, de l’Impact Campus. Tant et aussi longtemps que je serai rédactrice en chef, je vais me battrre pour conserver l’édition papier. » 

De plus, ce n’est pas la popularité des médias étudiants qui fait défaut. Les quatre rédacteur·rice·s en chef affirment que peu d’exemplaires demeurent dans les pigeonniers sans être lus. « Si je me fie aux quantités de journaux que nous imprimons et au nombre de copies qui sont prises chaque semaine, je pense que nous avons un lectorat stable, un bon noyau de personnes qui sont attachées à cette édition papier », souligne Léonard Smith, du Délit. 

Pour la professeure au Département de communication de l’UdeM Mirjam Gollmitzer, le choix de la plateforme de diffusion – Web ou papier – n’est pas « si important ». Elle relève que la réelle problématique se trouve dans le fait que les journaux étudiants, au même titre que les médias locaux ou alternatifs, ne peuvent pas survivre sur le libre marché capitaliste actuel. « Si on ne change pas le cadre de financement, nous allons perdre ces médias, avertit la professeure. Et ces médias nous sont précieux, parce qu’ils contribuent à la diversité et à la qualité de l’information. »

Mme Gollmitzer observe que le contexte néo-libéral met à mal la santé financière de tous les médias. Les publications locales, alternatives et communautaires, qui comptent sur un lectorat peu nombreux mais fidèle, à l’image des journaux étudiants, sont parmi celles qui écopent le plus. « Ce n’est pas la transition numérique qui va résoudre les problèmes de financement, estime-t-elle. C’est un effort collectif public. »

L’approche coopérative pourrait assurer une certaine stabilité financière aux médias, qu’ils soient étudiants ou traditionnels, selon la professeure. Elle cite notamment la Coopérative nationale de l’information indépendante, fondée en 2019, et qui regroupe six quotidiens régionaux numériques, comme Le Soleil de Québec et Le Nouvelliste de Trois-Rivières. 

Fait rare, voire unique, dans les universités québécoises, l’Impact Campus s’est associé à la radio étudiante CHYZ 94,3 FM en 2013 pour former la Corporation des médias étudiants de l’Université Laval. « Au début, c’était pour sauver CHYZ, qui n’allait pas très bien, explique Emmy Lapointe. Aujourd’hui, c’est plutôt l’Impact Campus qui en bénéficie. L’alliance et nos économies nous sauvent. »