L’expérience de la portabilité

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Par Nicolas Ganzer
vendredi 3 novembre 2017
L’expérience de la portabilité
Les téléphones cellulaires sont un des outils mobiles et abordables qui permettent de capter sons et images. (Photo : Jèsybèle Cyr)
Les téléphones cellulaires sont un des outils mobiles et abordables qui permettent de capter sons et images. (Photo : Jèsybèle Cyr)
Dans le monde du cinéma, les constantes innovations techniques permettent la conception d’appareils d’enregistrement toujours plus petits et performants. Ces nouveaux outils ont un impact grandissant sur la façon de réaliser des films.

Le professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques et directeur de la revue Cinémas, Richard Bégin, raconte qu’en parcourant les écrits du début du siècle, les preneurs de vue imaginaient déjà les bienfaits d’une portabilité qui est aujourd’hui une réalité. « Cette transportabilité change les manières de filmer ou d’enregistrer et les façons de penser le récit, dit-il. Cela permet d’aller plus facilement sur les lieux, à la rencontre des gens. »

M. Bégin explique qu’autrefois il fallait déplacer des équipes entières avec du matériel très imposant. « Aujourd’hui, une personne seule peut, avec son téléphone, faire un reportage ou un film documentaire, même une fiction presque professionnelle », affirme-t-il. Les nouveaux outils ont permis aux équipes de devenir plus petites et mobiles.

Lors d’un colloque abordant les enjeux de la miniaturisation tenu les 19 et 20 octobre derniers, les caméras MiniDV, les caméras d’action de type GoPro, les téléphones portables, les oreillettes, les drones et les enregistreurs audios ont notamment été abordés.

Susciter l’expérimentation

En plus de permettre une plus grande mobilité, la miniaturisation des équipements offre de nouvelles possibilités pour le cinéma expérimental. Les films à la première personne en sont un exemple. « C’est peut-être un peu en réponse à des films comme Lady in the Lake [La dame du lac] qui avait été faits et qui étaient des tentatives vraiment imparfaites de cinéma à la première personne, explique le doctorant en cinéma Philippe Bédard. Et on s’est dit pourquoi pas, là on peut le faire avec des GoPro. »

Aujourd’hui, les dispositifs d’enregistrement ultraportatifs permettent de tester de nouvelles avenues. Avec son film Hardcore Henry, le réalisateur Ilya Naishuller en a fait l’expérience. Dans les notes de production qu’a rendues publiques le distributeur Metropolitan Filmexport, il explique que les cascadeurs ont dû réapprendre leur métier, car la caméra était si proche des coups portés qu’il était facile de distinguer le vrai du faux.

Démocratiser le cinéma

Grâce à ces appareils portables et abordables, la production de films avec très peu de moyens devient envisageable. Il existe aujourd’hui des festivals consacrés aux films faits sur téléphone, comme le Mobile Film Festival, qui se tient à Paris depuis maintenant 12 ans.

Cette démocratisation du cinéma donne l’impression qu’il est facile de réaliser un film, ce qui n’est pas nécessairement le cas, d’après le stagiaire postdoctoral et chargé de cours au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques Thomas Carrier-Lafleur. « Tout le monde croit être capable de réaliser un film, mais ceux qui savent vraiment le faire sont rares, tempère-t-il. Au même titre que ce n’est pas parce que tout le monde peut prendre un stylo que tout le monde peut écrire un roman. »

Quant à savoir si cette tendance met en péril les métiers du cinéma, Thomas est catégorique. « Je crois que non, tranche-t-il. Il va toujours y avoir de vrais professionnels du son, de vrais professionnels de l’image, la preuve étant que les universités, dans les cours techniques, n’ont jamais été aussi remplies qu’aujourd’hui. »

Philippe partage le même avis. « C’est très dur de faire de bonnes vidéos, croit-il. En fait, les vidéos GoPro qu’on voit en ligne, c’est une fausse publicité. Oui, les caméras sont capables de faire quelque chose d’aussi bon, mais il faut avoir des connaissances professionnelles cinématographiques [pour y arriver]. Ça ne dévalorisera pas les experts, parce qu’il faudra toujours être expert pour prendre le produit brut et le rendre bon. »

Au-delà des moyens techniques pour capter de l’image et du son, les médias sociaux ont également un impact sur les films produits, d’après Philippe. « Dans le contexte des années 2010 en montant, ce qui va de pair avec la portabilité, c’est aussi la circulation de ces images-là », constate-t-il. Il donne en exemple les vidéos sportives partagées sur les différentes plateformes et remarque que, de nos jours, certains considèrent qu’une expérience n’a été vécue que si elle a été enregistrée.