Les effets d’une pandémie sur l’urbanisme de la ville

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Par Esther Thommeret
mardi 15 décembre 2020
Les effets d’une pandémie sur l’urbanisme de la ville
Cet été, la ville de Montréal a aménagé un large réseau de pistes cyclables et des espaces pour les piétons. Crédit : Jamshed Khedri via Unsplash.
Cet été, la ville de Montréal a aménagé un large réseau de pistes cyclables et des espaces pour les piétons. Crédit : Jamshed Khedri via Unsplash.

Historiquement, en période de pandémie, les États ont tenté de réduire les risques de propagation du virus en réaménageant l’espace public. Comment la crise sanitaire actuelle affectera-t-elle l’urbanisme de la ville de Montréal ? Gérard Beaudet, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’UdeM, répond à nos questions. 

Quartier Libre : En quoi les épidémies du passé ont-elles joué un rôle dans la transformation de l’espace public ?

Gérard Beaudet : Le XIXesiècle a vécu à répétition de grandes épidémies et quelques pandémies. À cette époque, on comprenait très mal les mécanismes de transmission. On carburait à la théorie des miasmes. C’est l’idée selon laquelle il y a des particules dans l’air qui sont porteuses de maladies, et donc, quand respire un air contaminé, on attrape la maladie. L’indicateur de la présence des miasmes était la senteur. Si ça sentait mauvais, c’était qu’il y avait des miasmes, et donc des risques pour la santé.

Les villes dont on a hérité ont été marquées par ces problèmes de santé publique auxquels on a essayé d’apporter des réponses. Ça a amené de nombreuses transformations, notamment dans le domaine sanitaire comme l’installation des égouts et des aqueducs.

Q.L. : Comment cette mauvaise compréhension des mécanismes de transmission à l’époque a-t-elle façonné nos villes ?

G.B. : Les gens considéraient que la contamination de l’air par les miasmes se faisait par les émanations en provenance du sol. Pour les empêcher d’en sortir, il fallait éviter que le sol soit contaminé. Ça a donné tous ces grands chantiers d’imperméabilisation des surfaces, ce qui a créé les chaussées et les trottoirs. D’autre part, ça a aussi amené à combiner ce traitement des surfaces avec les réseaux d’égout pour être capable d’évacuer le plus rapidement possible toute eau qui aurait pu stagner à la surface.

Q.L. : Comment ces changements ont-ils été jusqu’à transformer les rues et créer des boulevards ?

G.B. : On a développé cette logique de libre circulation, du « tout doit circuler » : l’air, l’eau, les marchandises et les personnes. Pour ce faire, il faut des conditions favorables. En matière d’urbanisme, c’était d’avoir des chaussées, des voies de circulation larges et qui n’ont pas d’impasse. Ça a également engendré la démolition des fortifications autour de quartiers centraux. Il faut briser les obstacles à la libre circulation, ce qui explique toutes sortes de travaux qui ont été faits. On pense notamment aux grands travaux d’Haussmann* à Paris, comme l’avenue de l’Opéra.

Actuellement, on n’est pas confronté à un problème aussi gros, qui comporte autant de risques pour les populations.

Q.L. : Pourquoi est-ce différent à l’heure actuelle ?

G.B. : La grande différence par rapport au XIXesiècle, c’est que la médecine d’aujourd’hui est plus performante. Une partie de la solution repose entre les mains de la médecine, et moins sur des interventions urbanistiques. Il faut toujours être conscient que ça va transformer la ville, mais on ne fera pas une razzia complète comme ce qu’on a connu à la fin du XIXesiècle. La ville qu’on connaîtra dans trente ans est déjà là en grande partie. Les besoins de la transformer vont être limités.

Q.L. : À quels genres de transformations peut-on s’attendre à Montréal avec la pandémie actuelle ?

G.B. : Il va y avoir des transformations, mais certaines d’entre elles vont probablement être le résultat d’une accélération de tendances déjà présentes. On parle beaucoup de la déconcentration de la fonction administrative,des services, du domaine financier ou encore des assurances. Cette déconcentration des bureaux d’affaires est amorcée depuis longtemps et elle s’est accélérée ces dernières décennies. On peut voir en banlieue que le nombre de tours de bureaux a augmenté de manière très significative. Et donc, la COVID-19 pourrait inciter certaines entreprises à déplacer plus rapidement une partie de leurs activités vers la banlieue. C’est la même chose avec le télétravail. Ce phénomène, dont on parle depuis très longtemps, prend de l’ampleur avec la pandémie.

Ça pourrait être la même chose sur le plan commercial, il se pourrait que la déconcentration commerciale se poursuive. Par exemple, de nombreux centres commerciaux meurent, on est obligé de les démolir, c’est le phénomène des « dead malls » aux États-Unis. Que vont devenir les centres commerciaux dans un contexte où les modes de consommation vont se transformer, et où le commerce en ligne va continuer à être un mode de consommation significatif ? Pour ça aussi, la COVID-19 aura contribué à accélérer le phénomène.

Q.L. : Cet été, la ville de Montréal a aménagé un large réseau de pistes cyclables et des espaces pour les piétons. Pensez-vous que les aménagements urbains vont perdurer ?

G.B. : Je pense que cette transformation de la ville, avec une réduction de la place de l’automobile, est là pour de bon. Mais je pense également que les choses devraient être faites avec un peu plus de réflexion stratégique. Ça a été une tendance internationale, mais au Québec, on n’a pas pris assez en compte les différences qui existent entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Notre rapport à l’automobile n’est pas du tout le même. Les résistances ne sont pas de même nature ici. Je pense que ça va nécessiter des ajustements. Est-ce que ça pourrait aller au-delà du centre-ville de Montréal?? J’en doute.

*Georges Eugène Haussmann était un homme politique et haut fonctionnaire français. Au milieu du XIXesiècle, il a dirigé les travaux de réaménagement urbain à Paris et a contribué à la création de grands boulevards à Paris, dits « haussmanniens ».