Marcel, tu m’harcèles

icone Societe
Par Mathieu Mireault
mardi 8 mars 2011
Marcel, tu m'harcèles

Près de sept ans après l’application des dispositions sur le harcèlement psychologique contenues dans la Loi sur les normes du travail au Québec, la moitié des entreprises de moins de 50 employés ne s’y conforment pas. Et ce, malgré un coût d’implantation estimé à 24,1 millions de dollars.

 

Au Québec, la lutte contre le harcèlement psychologique au travail traîne. Alors que 84 % des employeurs connaissent très bien ou assez bien leurs obligations légales vis-à-vis de leurs employés, presque le quart des entreprises qui ont entre 50 et 99 employés ne remplissent pas leurs responsabilités dans ce domaine. La situation est encore plus inquiétante du côté des entreprises ayant entre 5 et 49 employés où le taux des contrevenantes monte à 48 %. C’est ce que révèle une récente étude sur le harcèlement psychologique conduite par la Commission nationale du travail (CNT).

 

Selon les dispositions sur le harcèlement psychologique de la Loi sur les normes du travail, un employeur a «la responsabilité de mettre en place des moyens adéquats pour prévenir le harcèlement psychologique» dans son entreprise. S’il prend connaissance d’une situation de harcèlement, il a la responsabilité d’intervenir pour y mettre fin.

 

Un retard considérable

 

Luc Brunet, professeur de psychologie à l’UdeM, n’est pas très optimiste quant à l’impact de la loi. «Je pense que depuis sept ans, la situation s’est détériorée, surtout à cause des nombreuses mises à pied et de l’incertitude liée à la récession économique », dit-il.

 

«En Europe, on luttait déjà contre le harcèlement au travail il y a 20 ans. Ils réalisaient que certains suicides étaient attribuables à un milieu de travail malsain. Au même moment au Québec, il était très difficile de publier des articles scientifiques sur ce sujet. Ça n’intéressait pas», dit M. Brunet. Selon le professeur, les gestionnaires ont de la difficulté à appliquer la loi parce que le harcèlement psychologique a longtemps été négligé au Québec.

 

« Plusieurs employeurs croient que deux adultes peuvent régler eux-mêmes leurs différends. Mais si un employeur n’intervient pas dans une situation de harcèlement, il ne remplit pas sa responsabilité d’offrir un milieu de travail sécuritaire», affirme M. Brunet.

 

Selon François Courcy, professeur de psychologie à l’Université de Sherbrooke, « un employeur n’a qu’à envoyer un message à tous ces employés indiquant ce qu’est un comportement acceptable et ce qu’est un comportement inacceptable pour remplir ses responsabilités de prévention aux yeux de la CNT. Malgré tout, les gestionnaires sont mal à l’aise. Ils ont l’impression de faire de l’ingérence dans la vie privée de leurs employés.»

 

De graves conséquences

 

«La violence dans le milieu de travail a des conséquences sur l’ensemble d’une entreprise, dit Pascale Poudrette, directrice du Bureau d’intervention en matière de harcèlement de l’UdeM. Un employé harcelé peut ressentir beaucoup d’anxiété, de honte et de dévalorisation». Selon une étude d’Angelo Soares, professeur en psychologie à l’UQÀM, 37 % des victimes de harcèlement psychologique auraient besoin d’un suivi médical ou psychologique 12 mois après l’altercation.

 

«Une entreprise aux prises avec du harcèlement aura un moins bon taux de rétention et aura plus de difficulté à engager du personnel, soutient Pascale Poudrette. Ça affecte la productivité de l’entreprise : par exemple, il y a plus de congés de maladie accordés.»

 

François Courcy reste optimiste. Selon lui, c’est la formation des gestionnaires qui leur permettra de mieux intervenir en situation de conflits, et d’offrir des rencontres de médiation pour résoudre les différends avant qu’ils ne dégénèrent.

 

Mais cette formation a un coût, et les entreprises québécoises devront faire un choix. C’est une responsabilité qui leur incombe.