«Si les étudiants ont peur d’aller aux manifestations, c’est à cause des démonstrations de brutalité policière », estime l’ancienne porte-parole de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), Camille Godbout. Le 26 mars dernier, un policier du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) a tiré à bout portant une cartouche de gaz lacrymogène sur le visage de l’étudiante au Cégep Garneau Naomie Trudeau-Tremblay, âgée de 18 ans.
« Je faisais partie de la grève en 2012 et j’ai toujours peur des manifestations depuis, je n’aime pas la menace constante et la violence parfois gratuite dont la police peut faire preuve sur l’ensemble des manifestants » , confie l’étudiante au baccalauréat en psychologie Marie-Lou Faquette.
Selonle sergent responsable des relations médias du SPVM, Laurent Gingras, lorsque la décision de déclarer une manifestation illégale est prise, en vertu du règlement P-6, le message est diffusé par des mégaphones sur les lieux de la manifestation ainsi que sur le compte Twitter du SPVM. Dès lors, toute personne présente sur les lieux s’expose à des sanctions pénales, voire criminelles. « Nous déclarons une manifestation illégale seulement si des actes criminels sont commis, comme une agression envers des policiers et des méfaits envers des propriétés ou des véhicules, ou si l’itinéraire n’est pas divulgué » , explique-t-il.
Dans ce contexte, de nombreuses arrestations sont opérées par la police, notamment au moyen de souricières. « La présence de policiers antiémeute lourdement armés est une provocation pure et simple face à une foule pacifique non armée, je crois que ces tactiques policières sont tout simplement un moyen de couper les ailes à un mouvement populaire », estime l’étudiant au baccalauréat en sciences infirmières Marc-Olivier Myre.
Collaboration difficile
Une entente entre policiers et manifestants semble impossible, selon l’ASSÉ. « Nous n’allons jamais collaborer avec la police, affirmait Camille Godbout, en prévision de la manifestation du 2 avril dernier. Même si la manifestation est déclarée illégale, nous continuerons à marcher. » La porte-parole invite toutefois chacun à prendre ses propres décisions et à connaître ses limites. Pendant les manifestations qu’elle organise, l’ASSÉ distribue des tracts expliquant aux participants leurs droits en cas d’arrestation.
« Pour les policiers, une bonne manifestation est une manifestation qui dure le moins longtemps possible », pense le professeur adjoint à l’École de criminologie de l’UdeM Massimiliano Mulone. Selon lui, le recours au règlement P-6 est presque systématique, car le but des forces de l’ordre est de couper court toute manifestation. Le professeur précise aussi que lors de petites manifestations, les arrestations seraient plus nombreuses. « S’il y a trop de monde, il va être difficile d’arrêter la manifestation, mais si elle est peu achalandée, une arrestation massive sera plus facile à mener », illustre-t-il.
Selon l’expérience de l’étudiante au baccalauréat en sciences infirmières Marine Aronica, l’objectif du SPVM est généralement de contrôler l’itinéraire des manifestants. « J’étais à la manifestation du 21 mars, les policiers ont voulu dévier le mouvement en bloquant une rue et pour ça, ils ont dû traverser la foule, relate-t-elle. Comme la plupart des gens ne les ont pas vu arriver, certains sont tombés et d’autres ont paniqué. »
Itinéraire tenu secret
Lors de manifestations étudiantes, les organisateurs ne dévoilent que rarement leur itinéraire. Pourtant, en l’absence de cette information, le SPVM peut immédiatement déclarer la manifestation illégale. « On ne le divulgue pas, car une manifestation est faite pour déranger, donc si on donne le trajet, on perd cela, expliquait Camille Godbout. On l’a vu aussi, lorsque l’on fournit l’itinéraire à la police, ça ne veut pas dire qu’elle ne va pas agir de façon brutale avec les manifestants. »
Si l’itinéraire est tenu secret, c’est à cause du manque de confiance des étudiants envers les policiers, selon M. Mulone. « En connaissance du trajet, la police va pouvoir se préparer, et c’est justement ce que les manifestants souhaitent éviter », explique le professeur.
Les forces de l’ordre ont alors recours à une autre stratégie. « Durant les manifestations, la police utilise des agents de médiation qui doivent établir un contact avec les meneurs afin d’établir un canal de communication et de les diriger en les conseillant », explique M. Mulone. Ils sont parmi la foule, sans armement, et tentent de dialoguer avec les organisateurs, qui portent des dossards dans le cas de l’ASSÉ par exemple.
Le SPVM n’a pas souhaité détailler ses stratégies auprès de Quartier Libre. « Simplement, on doit être prêt à répondre à toute urgence, donc parfois on ne peut pas attendre qu’une manifestation dégénère avant d’agir », commente le sergent Laurent Gingras. Selon lui, les policiers ne feront rien tant que la sécurité des citoyens n’est pas en danger. Malgré tout, la réaction des étudiants concernant les événements survenus à Québec portent à croire que la bonne entente entre policiers et manifestants ne sera pas atteinte de sitôt.