Des barrières subsistent

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Par Emily Junca
lundi 12 février 2024
Des barrières subsistent
L’Alternative demande un local depuis plusieurs années. Illustration : Emily Junca
L’Alternative demande un local depuis plusieurs années. Illustration : Emily Junca
Depuis 1993, divers regroupements 2SLGBTQIA+ demandent un local à l’UdeM. Après trente années de démarche administrative et avec l’aide du Centre de l’engagement étudiant, le regroupement l’Alternative a obtenu gain de cause. Une victoire loin d’être suffisante pour ses membres.

À l’automne 2023, le regroupement 2SLGBTQIA+ de l’UdeM, l’Alternative, a obtenu une promesse de local dans le pavillon Marie-Victorin, accompagnée d’un financement pour le meubler. Ce lieu doit permettre aux membres de la communauté de se rencontrer dans un espace sûr. Son ouverture, initialement prévue en janvier 2024, ne cesse d’être repoussée, dû à la rénovation des lieux, selon le regroupement.

En 2021, le Groupe d’action trans de l’UdeM (GATUM), fermé depuis, avait reçu une promesse similaire. Le regroupement actuel a finalement repris le dossier, déjà avancé par le GATUM.

Un épuisement inévitable

Pour l’étudiant de première année au baccalauréat en droit et représentant de l’Alternative, Justin Lamarche, l’obtention de ce local est une victoire « frustrante » après un combat de longue haleine. « Je suis content de cette décision, mais on ne possède toujours aucun financement et on a du mal à faire comprendre à l’Université le but de notre existence », regrette-t-il.

L’UdeM a notamment refusé de financer l’activité d’inauguration des lieux, les membres ayant prévu d’y organiser un atelier artistique qui devait permettre de rendre visibles l’Alternative et le local, selon le représentant. Au programme de cet évènement était prévus des rencontres, des créations de banderoles, le développement de logos et de messages de soutien pour la communauté.

Par voie de courriel, la porte-parole de l’UdeM Geneviève O’Meara, indique que « l’Université ne finance pas les regroupements étudiants. » Elle précise cependant que les regroupements peuvent faire des demandes à deux fonds, soit le Fonds d’amélioration de la vie étudiante (FAVE) et les Projets d’initiatives étudiantes (PIÉ). Le FAVE est géré par le vice-rectorat aux affaires étudiantes et aux études, tandis que le PIÉ relève de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAÉCUM).

L’Alternative a soumis une demande de financement au PIÉ, qui a été refusée. Dans le courriel de refus, que Quartier Libre a pu consulter, l’attachée aux bourses et subventions, Murielle Chabot, explique que les dépenses présentées concernent des décorations et non une initiative en tant que telle. Elle invite ainsi le groupe à soumettre une demande au FAVE. Mme O’Meara soutient que l’Alternative n’aurait pas fait de demande à ce fonds en lien avec leur activité d’ouverture. Trésorier·ère et étudiant·e de troisième année baccalauréat en santé publique environnementale et sécurité du travail, Julien Guévremont-Cornu soutient que la demande ne concernait pas du matériel décoratif.

À l’instar de ce refus, le manque de visibilité et de moyens est l’un des enjeux principaux auxquels le regroupement serait confronté, d’après ses membres. Frustration, fatigue et impuissance : les membres de l’Alternative font face à diverses émotions. « Je n’ai pas l’impression que l’Université nous soutienne suffisamment pour que nous puissions atteindre nos objectifs », estime Justin.

Il précise également que les demandes de financement seraient particulièrement laborieuses et ajoute que le manque de financement assuré nuit à la survie des groupes 2SLGBTQIA+ et à leur bon fonctionnement. « On a toujours appris à se battre pour notre survie, c’est épuisant, mais on ne voit pas comment faire autrement », regrette le coprésident et étudiant de première année du baccalauréat en littérature de langue française, Charles Parent-Richard.

En 2002, Quartier Libre avait rencontré Nancy Roussy, responsable de l’ancien regroupement 2SLBTQIA+ de l’UdeM, le Triangle. Elle expliquait que celui-ci, qui a ressuscité en 1993 et fermé en 1998, se battait également pour faire valoir l’importance de son existence auprès de l’administration udemienne.

Être visible: une priorité

« On veut simplement être considéré à part entière, témoigne Julien, qui perçoit dans ce manque de moyens un manque d’égards. Tant qu’on ne l’est pas, il faut nous donner les moyens de nous défendre en tant que communauté. »

Le professeur adjoint à l’École de santé publique de l’UdeM (ESPUM) et directeur du laboratoire Qollab, Olivier Ferlatte, insiste sur l’importance de renforcer la visibilité de la communauté sur le campus par le biais de groupes tels que l’Alternative. Le professeur explique que le simple fait de « penser ne pas être accepté dans un espace », notamment par manque de représentation, serait potentiellement aussi dévastateur qu’une agression. Il précise que l’Université demeure un espace institutionnalisé et que, dans certains programmes d’études, les personnes de la communauté 2SLGBTQIA+ peuvent être invisibles.

« Il y a une différence entre penser qu’on est les bienvenus à l’Université et savoir qu’on serait soutenus s’il y avait un problème », souligne Cal*, étudiant·e bisexuel·le et non-binaire de troisième année au baccalauréat en cinéma, qui soutient également l’importance de la représentation. Justin révèle que l’Alternative ne serait pas informé lorsque des services pour la communauté 2SLGBTQIA+ sont mis en place par l’Université. Il affirme également que le manque de visibilité des services et du regroupement nuirait à l’accompagnement et au soutien des membres.

Alex*, étudiant·e lesbienne et agenre de troisième année au baccalauréat en psychologie et sociologie, confirme les propos de Justin et confie n’avoir pris connaissance de l’existence du regroupement qu’à la fin de son cursus universitaire. « Si j’avais su plus tôt que le groupe existait, je me serais sentie plus confiante à l’Université, confie l’étudiant·e. J’aurais su que des personnes pouvaient m’épauler si quelque chose m’arrivait. »

Mme O’Meara affirme que l’Université tente « toujours, dans la mesure du possible, d’impliquer les étudiants ou les membres des regroupements et associations dans le développement et la mise en place de nouveaux projets. »

L’Université, un lieu sûr ?

Les deux étudiant·e·s interrogé·e·s s’accordent à dire que la « lgbtqphobie » ordinaire est toujours présente et peut se manifester à travers des regards, des interrogations ou des affirmations.

Alex révèle également avoir déjà été confronté·e à un discours homophobe porté par un étudiant, lors d’un cours de psychopathologie. Celui-ci aurait notamment affirmé que l’homosexualité était un « comportement sexuel déviant ». « Ce moment a été difficile pour moi, je ne m’attendais pas à entendre ce genre de propos en 2023 », témoigne l’étudiant·e.

M. Ferlatte constate une hausse manifeste des discours haineux et des actes de violence envers les personnes 2SLGBTQIA+. Cette augmentation concernerait particulièrement les personnes transgenres ou celles qui ne s’identifient pas dans « le système binaire homme-femme ».

Dans un tel contexte, Cal regrette ne pas toujours s’être senti·e en sécurité à l’UdeM. « Au cours d’une certaine période, j’expérimentais différentes manières d’exprimer et de présenter mon genre, explique l’étudiant·e. Je portais un sous-vêtement pour aplatir la poitrine et un objet qui permet de former une bosse dans le pantalon. J’avais peur d’être habillé de cette manière sur le campus. »

Un train de retard pour l’UdeM

En 2015, la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAÉCUM) a présenté une étude sur les enjeux liés à la diversité sexuelle au sein de l’établissement. La première recommandation, qui préconise une étroite collaboration entre la Fédération et les défenseurs des droits des personnes 2SLGBTQIA+, ne serait toujours pas mise en place neuf ans plus tard, selon le représentant de l’Alternative.

« L’UdeM accuse un retard par rapport aux autres institutions universitaires de Montréal », déplore Julien. À titre de comparaison, Jacob Williams, membre de l’association de Trans Patient Union (TPU), estime que la mise en place à l’Université McGill d’un espace spécifiquement attribué à la communauté 2SLGBTQIA+ remonterait à 1986.

Les membres de l’Alternative affirment être reconnaissant·e·s de l’aide offerte par les services de l’UdeM lorsqu’elle est reçue. « On aimerait simplement une plus grande ouverture de la part de la FAÉCUM et de l’Université afin d’assurer un climat plus rassurant pour la communauté », conclut Julien.

Les étudiant·e·s rencontré·e·s ainsi que M. Ferlatte s’accordent à dire que de nombreux efforts restent encore à faire pour améliorer la vie étudiante des personnes 2SLGBTQIA+ à l’UdeM. Le professeur adjoint affirme que l’Université aurait une certaine responsabilité à assurer ce bien-être, notamment en tant qu’établissement prônant l’équité, la diversité et l’inclusion.

*Les étudiant·e·s n’ont pas voulu fournir leurs noms de famille pour préserver leur anonymat.