Le côté tabou des commotions cérébrales

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Par Pauline Bezzina
vendredi 16 février 2018
Le côté tabou des commotions cérébrales
(Photo: Benjamin Parinaud)
(Photo: Benjamin Parinaud)
Une étude conduite par le McGill Health Center* - le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) révèle que la plupart des joueurs de football atteints d’une commotion préfèreraient camoufler les symptômes pour continuer à jouer plutôt que de consulter un médecin. Le neuropsychologue et professeur au département de kinésiologie à l’UdeM Dave Ellemberg donne ses impressions.

Quartier Libre : En quelques mots, qu’est-ce qu’une commotion cérébrale ?

Dave Ellemberg : La commotion cérébrale survient lorsque le cerveau se blesse à la suite d’un déplacement de la boite crânienne. Il peut s’agir d’un impact directement à la tête, mais il est important de préciser que toutes sortes de contacts violents peuvent avoir une incidence sur la tête. Par exemple, un gymnaste qui tombe sur les fesses peut être victime d’une commotion cérébrale.

Q. L. : L’étude en question montre qu’une très faible proportion des athlètes cherche à se soigner ou en suspecte les symptômes. Selon vous, pourquoi ?

D. E. : Tout d’abord, les symptômes n’apparaissent aussitôt que dans 70 % des cas. Cela signifie que 20 à 30 % des personnes touchées ne ressentent les premiers symptômes qu’entre 48 et 72 heures après l’impact, augmentant les risques de séquelles. Sur 20 % des gens qui rapportent une commotion cérébrale, seulement 6 % d’entre eux sont allés consulter après. C’est trop peu. Il faut savoir que même si elle est traitée, une commotion laisse toujours des traces. En avoir eu plusieurs entraîne des séquelles, un déficit permanent. Il faut les prendre au sérieux.

Le professeur au Département de kinésiologie Dave Ellemberg se spécialise dans le domaine des commotions cérébrales et de leurs conséquences. (Photo: Julia Marois)

Le professeur au Département de kinésiologie Dave Ellemberg se spécialise dans le domaine des commotions cérébrales et de leurs conséquences.
(Photo: Julia Marois)

Q. L. : Quel genre de séquelles ?

D. E. : L’accumulation des commotions peut mener à la chronicisation des symptômes. Par exemple, avoir de la fatigue au moindre effort mental ou physique ; des baisses d’énergie, des troubles de sommeil ou des maux de tête. Cela peut aussi causer des troubles cognitifs au quotidien, comme avoir du mal à apprendre de nouvelles informations, à suivre le fil lors d’une lecture ou être beaucoup plus distrait qu’auparavant.

Q. L. : Il est également suggéré que les joueurs prendraient plus au sérieux les commotions cérébrales si elles étaient qualifiées autrement, comme « brain injury » [blessure au cerveau ]. Qu’en pensezvous ?

D. E. : Je ne suis pas convaincu qu’un changement de qualificatif fasse une différence. Le sujet n’est pas présenté de façon sérieuse. Il faut que des experts, des gens crédibles du corps médical viennent sensibiliser les jeunes athlètes. Cela fera plus d’effet. Il faut conscientiser et éduquer les équipes, tous niveaux confondus. Les joueurs ne comprennent pas les conséquences des commotions cérébrales sur le cerveau, ils traitent ça comme un rhume, ils ne prennent pas les symptômes au sérieux.

Q. L. : Les athlètes de McGill et leurs entraîneurs doivent signer un « contrat de commotion », pensez-vous qu’il faille appliquer cette politique plus largement ?

D. E. : C’est en tout cas recommandé dans les consensus médicaux au Canada. Les États-Unis ont passé une loi sur les commotions cérébrales, qui stipule qu’un athlète ne peut être autorisé à retourner au jeu qu’après avoir vu un médecin. Au Canada, il existe le protocole de gestions des commotions cérébrales, qui prévoit également une initiative similaire.


 

La problématique au sein des Carabins

« Nous faisons passer des séries de test à tous les joueurs en amont pour connaître leurs aptitudes physiques en temps normal, explique le conseiller en contenu sportif et communication numérique des Carabins, Renaud St-Laurent. En cas de commotion, le personnel médical a une meilleure connaissance des caractéristiques du joueur et sait où chercher l’anomalie. » Il ajoute que depuis l’arrivée de l’entraîneur-chef de l’équipe, Danny Maciocia, en 2011, le suivi médical des joueurs s’est amélioré. Il pointe également le rôle de meneur qu’a pris M. Maciocia, notamment en réclamant des états généraux au football, pour rendre le sport plus sécuritaire.


Contrat de commotion à McGill

Les joueurs et entraîneurs de l’équipe de football de l’Université McGill doivent signer un concussion contract. Celui-ci comporte toutes sortes d’informations sur les commotions cérébrales, dont leurs symptômes et leurs conséquences. En le signant, les personnes concernées s’engagent à signaler au personnel médical tout joueur potentiellement touché par une commotion cérébrale.

Source : La Presse Canadienne

 

* Why Professional Football Players Chose Not to Reveal Their Concussion Symptoms During a Practice or Game, J.-S. Delaney, J.-G. Caron, J.A. Correa, G.A. Bloom, 28 janvier 2018