Vivre aux grands airs

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Par Pascaline David
mercredi 6 avril 2016
Vivre aux grands airs
Ormstown, au Québec - Un nouveau regard s'ouvre sur les milieux ruraux dans la province. Crédit photo : Gilles Douaire
Ormstown, au Québec - Un nouveau regard s'ouvre sur les milieux ruraux dans la province. Crédit photo : Gilles Douaire
Contrairement à la croyance commune, la vie rurale n’est plus si différente de la vie urbaine et offre plusieurs attraits, selon le professeur à la Faculté de l’aménagement Gérald Domon. Quartier Libre s’intéresse aux citadins, appelés aussi néoruraux, désireux de quitter la ville pour retrouver les grands espaces et dont le regard change sur la ruralité.

«Les Québécois ont laissé tomber le milieu rural en même temps que le clergé durant la Révolution tranquille, les deux ayant été étroitement associés, pense le professeur à la Faculté de l’aménagement de l’UdeM Gérald Domon, qui se base sur les travaux du sociologue et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement rural, Bruno Jean. Mais depuis une quinzaine d’années, cela est en train de changer. »

Selon M. Domon, l’image du rural n’est plus la même, bien qu’il subsiste encore quelques clichés dans la tête de ses étudiants. Les différences entre les modes de vie ruraux et urbains sont cependant de plus en plus minces d’après lui. « La campagne n’est plus uniquement un lieu où l’on cultive la terre, lance-t-il. Seuls 10 à 15 % de la population rurale vit encore d’activités agricoles aujourd’hui. » Dans ses recherches*, le professeur analyse le choix de migrer à la campagne, qui est motivé par une quête de nature, d’isolement social et la recherche d’un nouveau cadre de vie plus récréatif.

Les nouvelles technologies sont en partie responsables de la recomposition sociodémographique des économies rurales, puisqu’elles ont modifié les relations sociales et diminué la sensation d’isolement et de déracinement, selon M. Domon. « Grâce à Internet, le télétravail est rendu possible en région, permettant le développement de micro-initiatives dans l’édition, le graphisme, l’art ou encore la création de micro-brasseries », indique-t-il.

Des emplois à la hausse

« En termes d’emploi, le rural ressemble de plus en plus à l’urbain avec une augmentation des postes dans le secteur tertiaire en région », raconte M. Domon, qui prend pour exemple la profession médicale. D’après lui, les urbanistes s’intéressent aussi plus à l’aménagement du rural. « Depuis 20 ans, je note une croissance de l’intérêt des étudiants pour avoir plus de formations associées au rural, explique-t-il. L’Université va s’y adapter puisque nous avons le projet de créer un nouvel atelier en milieu rural au niveau maîtrise d’ici 2017. »

L’étudiante à la mineure en architecture de paysage Élise Potier est également d’avis qu’il ne faut pas se contenter d’agir uniquement sur les municipalités urbaines. « La manière d’aménager l’espace correspond au goût et au potentiel de chacun, dit-elle. Mais travailler dans le milieu rural permet selon moi plus de créativité et un travail plus varié grâce aux grands espaces, plus épanouissant ».

Malgré la diminution de l’activité agricole, une certaine relève tente également sa chance dans des productions marginales ou à petite échelle, selon le doctorant au programme d’aménagement de la Faculté de l’aménagement de l’UdeM Olivier Craig-Dupont. Pour M. Domon, les néoruraux cherchent également à s’établir dans une campagne vivante où l’agriculture est encore présente comme dans Havelock, dans la région de la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent en Montérégie. « On peut parler d’un comportement “préservationniste” de la part des néoruraux » ajoute-t-il. En somme, la plupart d’entre eux ont un intérêt pour l’environnement, sa valorisation et certaines pratiques agricoles traditionnelles.

Revaloriser les territoires

S’installer à la campagne peut toutefois s’avérer difficile, puisque très coûteux dans les zones les plus recherchées, selon M. Domon. Il s’agit des régions centrales aux paysages attrayants, peu éloignées de l’influence métropolitaine comme les Cantons de l’Est, les Laurentides et le Haut-Saint-Laurent. L’accès y est restreint à cause d’un phénomène d’embourgeoisement, selon Olivier. « Les initiatives privées de conservation viennent probablement renforcer les dynamiques d’embourgeoisement rural déjà établies autour des aménités [NDLR : les aspects agréables] du paysage » explique-t-il.

Ce sont les baby-boomers à la retraite ayant acquis assez de capital qui viennent acheter des terres ou une maison à la campagne d’après le doctorant. « Les jeunes familles ou ceux qui font du télétravail auront davantage tendance à s’implanter dans les zones plus marginalisées qui subissent moins la pression foncière », ajoute-t-il.

M. Domon indique que plus de 150 communautés rurales, principalement dans le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie – Îles-de-la-Madeleine, et la Côte-Nord sont dévitalisées, avec un fort taux de chômage. Une partie de ses recherches consiste à chercher des solutions pour revaloriser les territoires les moins attrayants et à sensibiliser ses étudiants.

Des services comme la Banque de terres sont disponibles pour les aider à démarrer. Cette dernière permet de jumeler des aspirants agriculteurs avec des propriétaires fonciers afin d’augmenter l’accessibilité des terres au profit de la relève agricole et de maintenir le dynamisme des régions.

*Louis, Sylvain PAQUETTE et Gérald DOMON. Revue Recherches sociographiques, « La campagne des néoruraux : motifs de migration, territoires valorisés et usages de l’espace domestique », Université Laval, 2005, vol. 46, no 1, p. 35-65.

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