Prévention ludique

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Par Ambrune Martin
lundi 25 avril 2016
Prévention ludique
La doctorante Sara Mathieu-Chartier indique qu’elle a beaucoup joué aux jeux vidéo avant d’entreprendre son doctorat. Crédit Photo : Charles-Olivier Bourque
La doctorante Sara Mathieu-Chartier indique qu’elle a beaucoup joué aux jeux vidéo avant d’entreprendre son doctorat. Crédit Photo : Charles-Olivier Bourque
Dans le cadre d’une campagne de prévention des infections transmissibles sexuellement (ITS), une étudiante de l’UdeM a décidé d’envisager l’utilisation du jeu vidéo pour sensibiliser son public. Une initiative innovante qui pousse à s’interroger sur l’utilité de ce médium dans l’apprentissage de comportements sains.
« On parle ici d’un thème assez sensible, et beaucoup de jeunes adultes ne vont pas forcément être à l’aise de parler de santé sexuelle avec un groupe. L’idée, c’est d’utiliser au maximum le potentiel des jeux vidéo et des technologies pour que l’intervention s’adapte à la personne concernée. »
Sara Mathieu-Chartier - Étudiante au doctorat en psychopédagogie à l’UdeM

«Depuis quelques années, on s’est penché sur l’évaluation des interventions traditionnelles en prévention des ITS et en éducation de la sexualité de manière générale : les effets de ces campagnes restent assez mitigés, explique l’étudiante au doctorat en psychopédagogie à l’UdeM et créatrice du jeu, Sara Mathieu-Chartier. Parfois des interventions se sont avérées peu efficaces pour, par exemple, changer les comportements. » Pour pallier ces résultats modestes, elle a envisagé un médium jusque-là peu exploité : le jeu vidéo.

C’est en étudiant les pratiques sexuelles chez les jeunes adultes du Québec que Sara s’est aperçue du besoin d’avertir cette population des risques liés aux ITS. « C’est une population difficile à joindre parce qu’elle est très mobile, elle n’est pas regroupée dans des lieux d’apprentissage comme les enfants ou les adolescents peuvent l’être », précise-t-elle.

Les jeunes adultes passent moins de temps devant la télévision, privilégiant à celle-ci l’ordinateur ou le téléphone intelligent, selon Statistique Canada. « La précédente génération de médias n’a plus la même portée auprès des jeunes publics, pense l’étudiant à la maîtrise en communication et président de l’association UdeM Gaming, Théophile Hladky. Il est nécessaire de s’adapter aux pratiques plébiscitées par ces nouvelles générations ».

Le jeu de Sara, toujours à l’étape de projet, prendra probablement la forme d’une application mobile. « Lorsqu’on étudie les données au Québec sur l’accessibilité au Web et au téléphone intelligent, ce sont les jeunes adultes qui utilisent le plus ces médias, explique-t-elle. De 90 à 95 % d’entre eux pourraient avoir accès à notre jeu si on utilise ces moyens-là. »

L’accès direct à l’information depuis son téléphone permet aussi à l’utilisateur une intimité, utile pour certaines campagnes. « On parle ici d’un thème assez sensible, et beaucoup de jeunes adultes ne vont pas forcément être à l’aise de parler de santé sexuelle avec un groupe, ajoute Sara. L’idée, c’est d’utiliser au maximum le potentiel des jeux vidéo et des technologies pour que l’intervention s’adapte à la personne concernée. »

Un média prometteur

En participant au projet It’s Your Game – Keep it real ! à l’École de santé publique de l’Université du Texas en 2012, qui met en place un jeu vidéo éducatif dans les écoles primaires sur l’approche de la sexualité, Sara a pu constater l’efficacité de ce médium, mais aussi ses écueils. « On est au début de l’exploration du potentiel du jeu à des fins éducatives, indique l’étudiante. Les bons jeux tirent profit de l’adaptabilité, de l’interactivité, mais font aussi en sorte que les mécaniques de jeu présentent l’apprentissage comme tel. On n’essaie pas de masquer l’intervention traditionnelle avec des principes de ludification un peu collés, peu efficaces. »

Alors que l’habitude est à la séparation entre activités ludiques et apprentissage, le pari est fait ici de réunir les deux dans le cadre de ces campagnes de prévention 2.0, la démarche traditionnelle de sensibilisation n’étant pas infaillible. « Le jeu vidéo permet presque l’apprentissage naturellement, indique le directeur du DESS en design de jeux vidéo à la Faculté de l’aménagement de l’UdeM, Louis Martin Guay. L’interactivité y joue pour beaucoup. Les jeunes pourront être actifs, interagir bien plus que simplement lire ou voir une campagne de prévention. »

Une autre manière d’apprendre

L’intégration de ce médium à un cadre de prévention doit encore faire ses preuves. Le principal enjeu est de pouvoir s’assurer que l’initiative fonctionne. Dans le cadre de cette campagne, que les jeunes adultes concernés changent leurs comportements par rapport à leur sexualité à risque. « La technologie nous permet aussi la collecte de données en temps réel, indique Sara. C’est une espèce de fantasme du chercheur ».

Plus circonspect, Louis Martin Guay s’interroge sur la capacité du jeu à faire réellement changer le comportement des utilisateurs. « On peut présumer de la validité de l’expérience, mais pas la garantir, note-t-il. Je reste convaincu que c’est porteur d’avenir, au moins pour les facilités de diffusion que permet le virtuel ».

Le projet de Sara ne sera cependant pas développé tout de suite. « Ma thèse est essentiellement théorique, précise-t-elle, la demande de financement ne se fera qu’après le dépôt de celle-ci ». Le débat est également éthique selon elle, concernant l’octroi de fonds publics pour le développement d’un jeu vidéo.