Volume 24

Le français, frein des réfugiés

L’Université Laval accueillera son premier étudiant syrien, en collaboration avec Entraide Universitaire Mondiale du Canada (EUMC), durant cette rentrée scolaire. Cet organisme coordonne un programme de parrainage auprès des universités canadiennes. L’étudiante en études internationales et présidente du comité EUMC-Laval, Audrey Lord, explique cette initiative. « Nous avions signalé notre intérêt d’accueillir un réfugié syrien en septembre 2015, mais personne ne correspondait au profil recherché, précise-t-elle. Le parrainé doit maîtriser le français de niveau universitaire et détenir les prérequis scolaires pour être accepté au programme universitaire visé. » Ces critères réduisent le nombre de candidats potentiels de façon considérable, selon elle.

Si l’Université Laval a décidé de franchir le cap, les autres universités francophones tardent à lui emboîter le pas. L’Université du Québec à Montréal et l’UdeM reconnaissent qu’à ce jour, elles n’ont pas accueilli d’étudiant syrien ayant le statut de réfugié. L’une des raisons avancées pour justifier ce retard est la barrière linguistique. « Les organisations non gouvernementales qui travaillent auprès des campus de réfugiés sont souvent anglophones ou arabophones, précise la gestionnaire du programme d’étudiants réfugiés de l’EUMC, Michelle Manks. Cela diminue les possibilités de contact avec les Syriens francophones. »

Une diversité culturelle

Arrivé au Canada en 2014, Adnan Al Mhamied est le premier Syrien à être accepté à la maîtrise en travail social de l’Université McGill avec un visa étudiant. Pour lui, l’intégration au sein d’une université anglophone est plus facile. « Il y a une plus grande conscience des événements en Syrie sur les campus anglophones, précise-t-il en anglais. C’est sans doute la présence d’associations syriennes qui permet une plus grande visibilité du conflit. »

La chercheuse à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, Marie Lamensch, voit aussi une divergence culturelle. « Il y a une tradition plus philanthropique dans le monde anglophone, qui engendre peut-être une mobilisation plus importante », pense-t-elle. L’intégration de ces étudiants dépend donc d’une certaine diversité culturelle, présente dans les universités anglophones, selon elle.

Faciliter l’accueil

Même si le parrainage n’a pas encore eu lieu dans les différentes universités francophones montréalaises, plusieurs autres initiatives ont été entreprises pour faciliter l’accueil des étudiants réfugiés. À l’UdeM, par exemple, trois bourses de soutien financier ont été accordées à des ressortissants syriens en automne 2016. « Nous restons également ouverts à recevoir un projet qui irait vers un parrainage et à l’étudier pour voir dans quelle mesure nous pourrions contribuer à sa réalisation », indique la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara.

Cependant, pour l’étudiante au baccalauréat en enseignement du français langue seconde et instigatrice du Projet d’accueil et d’intégration des réfugiés syriens (PAIRS) de l’UdeM, Myriam St-Georges, l’Université doit encore faire des efforts concernant l’intégration des réfugiés. « Si l’UdeM offrait plus de soutien dans la gestion de projets comme PAIRS, on pourrait faire beaucoup plus », souligne-t-elle.

Du côté de HEC, cinq bourses d’exemption des droits de scolarité étaient offertes en septembre pour les réfugiés syriens, mais une seule a trouvé preneur pour cette session. Si le secrétaire général de HEC, Federico Pasin, souhaite que ces bourses bénéficient de plus de visibilité pour la prochaine rentrée scolaire, il reconnaît cependant que d’autres facteurs circonstanciels expliquent ce manque d’engouement. « Les réfugiés priorisent d’autres besoins pour le moment, tels que le logement ou la francisation, explique-t-il. Dans ces circonstances, des études en gestion ne passent pas au premier plan. »

Adnan Al Mhamied est d’un autre avis. « Il faut que les Syriens s’éduquent pour reconstruire leur pays, c’est une aide humanitaire trop souvent négligée », se désole-t-il. Aujourd’hui, alors que ne cessent d’affluer les images de la crise humanitaire qui fait rage, l’étudiant pense à l’avenir de son pays d’origine.

Michelle Manks souhaite également encourager les universités francophones, comme l’UdeM ou le réseau de l’Université du Québec, à accueillir ces réfugiés. « On compte augmenter cette collaboration en communiquant l’existence du programme de parrainage sur les campus et en consolidant l’intérêt des établissements qui ont entamé des démarches cette année », mentionne-t-elle. Au-delà de la barrière linguistique, elle estime que l’aspect financier représente un réel frein pour les établissements francophones. « Il y a un blocage pour le financement, car les associations étudiantes refusent de participer aux cotisations, et les levées de fonds sont difficiles à lancer », ajoute-t-elle. Ces universités devront donc investir plus si elles souhaitent accueillir les réfugiés.

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