Faust : revisiter les origines de l’électro

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Par Louis-Philip Pontbriand
vendredi 25 octobre 2019
Faust : revisiter les origines de l'électro
Sous la direction de Nicolas Bernier, l'Ensemble d'oscillateurs génère à l'aide de ces appareils électroniques primitifs les sons les plus "purs" qui soient. Crédit : Perte de signal
Sous la direction de Nicolas Bernier, l'Ensemble d'oscillateurs génère à l'aide de ces appareils électroniques primitifs les sons les plus "purs" qui soient. Crédit : Perte de signal
Le professeur adjoint en musiques numériques de l’UdeM Nicolas Bernier a livré une prestation inusitée de son groupe Ensemble d’oscillateurs jeudi soir, alors que celui-ci a interprété Faust, l’une des toutes premières compositions en musique électronique. Cette représentation a eu lieu dans le cadre du festival Sight & Sound, qui se déroule du 24 au 26 octobre à la galerie d’art Eastern Bloc, à quelques encablures du campus MIL.

« Je crois qu’il s’agit d’une première dans l’univers, annonce sans détour le professeur à la Faculté de musique Nicolas Bernier. On retranscrit et réinterprète une pièce d’early electronic qui n’a pas été conçue de manière à être un jour interprétée à nouveau. » Le musicien fait ici référence à la désignation anglaise — intraduisible selon lui — des balbutiements du genre musical que l’on appelle désormais la musique électronique.

« Là se trouvent le défi et l’innovation dans notre façon de travailler : on réussit à faire des interprétations de pièces qui sont, a priori, non interprétables », précise M. Bernier. Le professeur explique que son équipe et lui ont transcrit la pièce de musique électronique Faust, conçue et enregistrée en 1962 par la compositrice danoise Else Marie Pade, pour ensuite la reproduire en direct.

Non jouable, mais éminemment écoutable

M. Bernier ajoute que Faust était, à l’origine, destiné à accompagner un drame radiophonique, c’est-à-dire un texte fictif conçu pour la diffusion radio. « Par la suite, la compositrice en a fait une version musicale qui se tenait par elle-même, détaille-t-il. Cette pièce a été enregistrée sur disque, mais elle n’a pas été faite pour être interprétée de nouveau. En principe, elle n’est pas jouable. » En guise de démonstration, il émet avec sa bouche une brève série de sons denses et complexes qui évoquent le bruit de connexion d’un vieux modem téléphonique, comme on en trouvait encore dans les années 1990 et au début des années 2000. « Essaie de jouer ça », lance-t-il ensuite. Il croit cependant avoir trouvé un moyen de reprendre Faust de façon convaincante.

M. Bernier dirige l’Ensemble d’oscillateurs, un groupe de dix musiciens qui s’apparente à un orchestre électronique expérimental dont il est le chercheur principal. Plus précisément, il module et fait en direct le mixage des signaux émis par les dix appareils que manient ses acolytes, mais plutôt que de jouer des instruments musicaux au sens strict ou classique du terme, les musiciens produisent des sons à l’aide d’oscillateurs, des appareils qui permettent de générer des ondes périodiques de forme sinusoïdale (et parfois carrées), qui peuvent ensuite être amplifiées et écoutées.

« J’ai découvert Faust assez récemment, affirme M. Bernier. Ça a été un coup de cœur tout de suite : je trouve que cette pièce est un chef-d’œuvre et elle m’a beaucoup touché. A priori, elle paraît simple, mais quand on l’écoute bien, il y a tellement de détail et de richesse ! » Il précise que peu de morceaux de musique se prêtent aussi bien à une (ré)interprétation par oscillateur, qui génère les sons les épurés qui soient. « Toute la musique que l’on entend est formée de sons complexes, poursuit-il. L’oscillateur, au contraire, produit le son le plus simple qui soit : l’onde sinusoïdale, c’est la base de tous les sons. »

L’éthique de revalorisation

Eastern Bloc est un centre de production et d’exposition en nouveaux médias situé dans le quartier Marconi-Alexandra, communément appelé Mile-Ex. L’un des commissaires de Sight & Sound, Martín Rodríguez, qui est également un ancien directeur du centre, précise que cette institution se donne pour mission de revaloriser les vieux appareils afin de créer des nouveautés artistiques. « Plutôt que de jeter les vieux électros, on leur donne une nouvelle vie, explique-t-il. La proposition de Nicolas [Bernier] nous intéresse beaucoup, car on trouve de vieux oscillateurs dans les friperies et dans les poubelles. Plutôt que de polluer, on crée des œuvres avec ces appareils. Ça correspond bien à notre idée du DIY [fait maison]. »

Si M. Rodríguez affirme qu’il a beaucoup apprécié l’enregistrement original de Faust, il confie du même souffle que la nouvelle interprétation de l’Ensemble d’oscillateurs demeurait un mystère pour lui aussi, jusqu’au soir de la représentation. « Nicolas m’a dit qu’il voulait interpréter cette pièce et je lui ai répondu “Go !”, ajoute-t-il. Je supporte le choix des artistes. »

D’autres artistes présentent également des œuvres sonores ou visuelles — et parfois les deux à la fois — durant les trois jours du festival. Une étudiante de M. Bernier, Stéphanie Castonguay, fera partie de l’événement samedi soir et présentera ses compositions musicales, interprétées par l’entremise de composantes récupérées de scanneurs désaffectés.