Longue marche vers la gratuité

icone Societe
Par Charles-Antoine Gosselin
vendredi 4 septembre 2015
Longue marche vers la gratuité
Le 14 mai dernier, des rassemblements ont dégénéré, causant la mort de deux étudiants chiliens dans la ville de Valparaiso.
Le 14 mai dernier, des rassemblements ont dégénéré, causant la mort de deux étudiants chiliens dans la ville de Valparaiso.
Le 11 septembre marquera le 42e anniversaire du coup d’État chilien orchestré par le militaire Augusto Pinochet. Le système d’éducation a subi des bouleversements qui laissent de profondes marques. Réélu en mars 2014, le gouvernement socialiste de Michelle Bachelet a promis de rendre le système universitaire gratuit, mais est-ce réaliste ?
« On peut certes s’inspirer de la mobilisation citoyenne chilienne, mais en même temps, eux ont tellement plus de raisons que nous de vouloir des changements. »
Philippe Girard-Marcil Étudiant au baccalauréat en études hispaniques

Le docteur en science politique diplômé de l’UdeM Sébastien Dubé habite le Chili depuis 2009 et enseigne la politique à l’Université publique de Santiago du Chili. Selon lui, le pays souffre d’un système d’éducation ségrégationniste, résultat des années de dictature sous le général Pinochet. « La constitution de l’Université de Santiago date d’un décret de la dictature de Pinochet, relate-t-il. C’est un statut qu’il a été impossible de changer jusqu’à maintenant. Cela nécessi­terait un vote du Congrès sur le statut de l’ins­titution. »

La capitale Santiago est le théâtre, depuis 2011, de nombreuses manifestations étudiantes. Les manifestants réclament une éducation publique gratuite et des réformes. L’actuel système éducatif est encore largement privatisé et n’a pas été modifié en profondeur depuis la dictature de Pinochet. « Au Chili, il y a deux grandes universités, l’Univer­sité pontificale catholique du Chili et l’Uni­versité de Santiago du Chili, explique M. Dubé. Traditionnellement, ces deux institutions ont servi à former l’élite : l’une conservatrice et l’autre progressiste. » Le mouvement des étudiants apparaît donc souvent divisé.

« L’Université de Santiago doit être la plus mili­tante, c’est un peu l’UQAM du Chili », plaisante l’étudiant au baccalauréat en études hispaniques Philippe Girard-Marcil. Il est en échange à l’Université pontificale catholique du Chili depuis près d’un mois.

Une réforme aux contours flous ?

La présidente, Michelle Bachelet a promis une réforme de l’éducation. Au niveau universitaire, cette dernière prévoit notamment l’arrêt des subventions aux universités privées, une mesure que certains n’approuvent pas. « Mon université est privée, c’est la plus dispendieuse, mais j’ai des bonnes notes, explique l’étudiante chilienne en droit à l’Université de Los Andes Camila Pulgar qui a fait un échange au Québec en 2011-2012. Avec la réforme, je devrai payer l’équivalent de 1 000 $ par mois alors que présentement j’en paye l’équivalent de 200. »

De plus, le projet reste encore flou, selon M. Dubé. « Le grand problème, c’est que la réforme n’a jamais été très claire, remarque-t-il. Le mandat du président est de quatre ans et ne peut être renouvelé. Or, on promet ­l’université gratuite dans un mandat de six ans. Ça donne des signaux contradictoires. » Cette mesure devrait permettre aux 260 000 étu­diants chiliens les plus pauvres d’aller gra­tuitement à l’université.

Pourquoi vouloir réformer ?

Selon M. Dubé, l’accès et la qualité du système d’éducation chilien sont les deux principaux maux du système universitaire. « Ici, les meilleures universités sont très sélectives, explique ce dernier. Les plus favorisés auront accès à ces universités, car ils ont eu d’excellentes notes au secondaire et au primaire. »

Concernant ces « meilleures universités», M. Dubé estime d’ailleurs qu’elles sont parfois gérées de façon scandaleuse. « Celles-ci devraient agir comme des orga­nismes à but non lucratif, mais la loi n’a jamais été appliquée, ce qui donne une très mauvaise qualité d’enseignement dans certaines universités privées », évalue-t-il.

Les coûts seraient aussi élevés pour s’inscrire dans ces établissements, générant des emprunts pour certains étudiants. Philippe compare d’ailleurs cet endettement à « une deuxième hypothèque ».

Regards croisés

Malgré le coût très élevé de l’inscription, Philippe apprécie la créativité des évaluations réalisées au sein de son université d’accueil, en comparaison au Québec. « Les professeurs sont toutefois moins bons pédagogues, note-il. Les cours sont plus magistraux et il y a moins d’interaction avec les enseignants. »

Même s’il est impressionné par la qualité des infrastructures de son établissement, l’étu­diant en études hispaniques demeure réaliste. « Quand on a le privilège de comparer, on apprécie l’endroit où on vit, soutient Philippe. On peut certes s’inspirer de la mobilisation citoyenne chilienne, mais en même temps, eux ont tellement plus de raisons que nous de vouloir des changements. »

Le 26 août dernier, des milliers d’étudiants ont manifesté contre le projet de réforme, ce qui a donné lieu à de nombreux affrontements avec les forces de l’ordre.

25mars2015