Les femmes aux manettes

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Par Morgane Gelly
lundi 22 octobre 2018
Les femmes aux manettes
La polémique du Gamergates’est emparée de Twitter en 2014. (crédit : Benjamin Parinaud)
La polémique du Gamergates’est emparée de Twitter en 2014. (crédit : Benjamin Parinaud)
Aujourd’hui, bien que la moitié des joueurs soient des femmes, le jeu vidéo reste un milieu perçu comme masculin*. Partant de ce constat, la doctorante au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM Pascale Thériault souhaite étudier les pratiques féministes dans le monde du gaming. L’occasion de s’interroger sur la place des femmes dans le jeu vidéo.

«Montre-moi tes seins ou casse-toi ! » C’est ainsi que les joueuses sont parfois accueillies sur les jeux en ligne, raconte l’étudiante au DESS en design de jeux Chloé Gervais. Pourtant, elle voit que le milieu s’ouvre progressivement aux femmes. « Je rencontre beaucoup de femmes dans le jeu vidéo, dit-elle. On les voit beaucoup plus, elles sont beaucoup plus représentées. »

Barrières à l’entrée

Selon Pascale Thériault, les femmes se heurtent à trois types de barrières. D’une part, les personnages féminins sont trop absents des jeux, et ils sont stéréotypés ou sexualisés. D’autre part, les femmes sont peu présentes dans l’industrie où elles ne sont pas encouragées à travailler. Enfin, pour la doctorante, les enjeux économiques poussent les studios à ne pas prendre de risques et à satisfaire toujours la même clientèle. « Si on regarde l’histoire du jeu vidéo, le public cible a très longtemps été des jeunes garçons et des hommes, détaille-t-elle. S’assurer de conserver son public masculin est une valeur sûre. »

Pourtant, la prise de risques pourrait rapporter gros, comme l’explique la spécialiste en tests utilisateurs au sein d’un studio montréalais Améliane Chiasson, et les entreprises commencent à le comprendre. « Faire des jeux qui sont plus inclusifs rend non seulement les gens plus contents mais permet aussi de vendre plus de produits », affirme-elle.

Une porte s’ouvre

Afin de toucher un large public, les studios commencent à proposer des jeux plus ouverts, permettant d’offrir une variété d’expériences, explique Mme Chiasson. « On aura de plus en plus de gros jeux vidéo en monde ouvert, qui auront du succès tant chez les femmes que chez les hommes, comme The Witcher, raconte-t-elle. Ils sont super riches en histoire et intéressants au niveau de la jouabilité. »

Un effort a également été fait pour introduire davantage de personnages féminins, d’après Chloé. Mais ce n’est pas suffisant pour l’étudiante, qui voudrait des personnages plus réalistes. « Parce que souvent, ce qu’on voit, c’est un personnage masculin avec une apparence de femme, déplore-t-elle. Les créateurs vont lui donner une personnalité très masculine et ils vont lui mettre un visage de femme. Mais il pourrait aussi y avoir des personnages nuancés, pas juste forts. »

Pour Mme Chiasson, avoir plus de femmes dans l’industrie du jeu vidéo permettrait de mieux répondre aux attentes de ces dernières. Or, si la créatrice de niveaux chez Paper Cult Jeanne Painchaud-Boulet perçoit une amélioration, elle remarque que les secteurs techniques demeurent très masculins. « Il reste encore énormément de travail à faire pour rendre ces postes-là attirants pour les femmes », note-t-elle.

Selon la spécialiste en tests utilisateurs, inclure les femmes, c’est aussi leur offrir des espaces sécuritaires. Elle souligne que les studios sont de plus en plus vigilants concernant le harcèlement dans les jeux en ligne. Selon elle, les hommes doivent apprendre que les jeux ne leur sont pas réservés.

S’affirmer en jouant

De leur côté, les joueuses usent de stratégies pour s’affirmer dans l’univers vidéoludique. Pascale Thériault constate que certaines d’entre elles orientent les scénarios de manière à vivre une expérience contre- stéréotypée. Ainsi, dans Life is Strange, les joueuses peuvent développer une relation lesbienne en faisant certains choix dans le jeu. La doctorante ajoute que des joueuses créent des mods, des reprogrammations de jeux déjà existants, dans le but de proposer plus de diversité.

Mme Painchaud-Boulet évoque quant à elle la possibilité pour les joueuses d’apprivoiser le gaming en commençant par des jeux plus accessibles. « Je pense que c’est vraiment important, en tant que joueuse, de se construire une confiance à travers un parcours de gaming », précise la développeuse.

Le contrecoup du féminisme

Si Chloé compte bien profiter de la volonté des studios d’inclure plus de femmes, elle constate que la mise en place de quotas peut aussi avoir des effets délétères. « Je connais des garçons qui sont un peu fâchés de tout ça, exprime-t-elle. Souvent, ils vont dire : “Je la connais cette fille-là, puis j’étais meilleur qu’elle, pourquoi ils l’ont embauchée ? C’est de la fausse parité !“ »

Si Mme Thériault, Mme Painchaud, Mme Chiasson et Chloé sont optimistes pour l’avenir du jeu vidéo, elles rappellent qu’assumer une voix féministe dans ce milieu peut toujours exposer à de violents ressacs. On a pu le voir avec le Gamergate, qui a secoué la communauté des joueurs en 2014 (voir encadré).

* Selon une enquête de l’Association canadienne du logiciel de divertissement, en 2016 au Canada, 49 % des joueurs étaient des femmes. Pourtant, seules 29 % des femmes se considèrent comme gameuses, contre 47 % des hommes.

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