Cauchemar multicolore

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Par Charles-Antoine Gosselin
lundi 17 février 2014
Cauchemar multicolore
Crédit photo certains droits réservés par Aurélien Valette
Crédit photo certains droits réservés par Aurélien Valette

À chaque numéro, Quartier Libre offre la chance à l’un de ses journalistes d’écrire une nouvelle de 500 mots sur un thème imposé. Le thème de ce numéro est: cauchemar

Et mon démon me souffla au creux de l’oreille : « Lève-toi fainéant!»

Douloureusement, je me redressai pour lui obéir, et surtout pour éviter qu’il ne m’embête encore. Je m’étirai et me fis craquer la colonne pour réchauffer mes articulations endolories d’une autre nuit passée sur cette sale courtepointe kaléidoscopique, posée à même le béton glacial du bunker.

Sous ce viaduc qui nous abritait, nous, les écorchés, les rejetés, les désinstitutionnalisés, il était impossible de savoir le temps qu’il faisait ou l’heure qu’il était, tant cette ca – verne postmoderne était profonde. J’étais toutefois en mesure d’entendre le tintamarre étrange de la ville, car au début de cette journée cauchemardesque que je m’apprête à vous raconter, outre l’habituel son sourd des véhicules qui roulaient au-dessus de nos existences, le son strident de coups de sifflet me sciait les tympans.

-Hey Johnny! You’ve got something for me?

Aussitôt réveillé, Johnny me faisait déjeuner à la pipe et attendait que je plane bien fort avant de commencer à me brutaliser. L’irritation et la peur de ce chahut tournèrent ma passivité en agressivité. Et la voix revint : «Tasse-toi, où il te tuera!» Je reculai en hurlant et m’armai d’une tige métallique. Ce n’était plus le vrai Johnny. Il gloussait comme une créature. Cela me glaça tellement le sang que je m’enfuis du bunker pour trouver une patrouille de quartier.

Cependant, la frousse que j’avais eue à l’intérieur ne se comparait guère à l’effroi qui me prit à la vue et à l’entente de la rue. Du plus loin que je pusse voir, la population acclamait du trottoir un cortège défilant en toute fierté sur la métropole. Leurs troupes étranges déambulaient, certaines montées sur leurs chars de conquête, d’autres dansant sur le pavé, tout aussi drôlement vêtues.

La foule était contrôlée par des milliards de buvards multicolores flottant dans l’air, contenant un puissant sédatif duquel je me protégeai à l’aide d’un bouclier de carton brun improvisé. La musique ordonnait la masse faussement joyeuse et ces coups de sifflet les soumettaient à leurs étendards hissés bien hauts, décomposant la lumière solaire si nécessaire à la propulsion de leurs vaisseaux.

Bouclier à la main, je descendis furtivement le talus pour mieux espionner la scène d’un bosquet et éviter de me faire capturer. Ce que je craignais depuis toutes ces années, ce que je me tuais à expliquer à ces docteurs corrompus, se déroulait devant mes yeux. Les extraterrestres qui m’avaient autrefois implanté une puce dans le ventre avaient finalement conquis la ville. J’entendais le démon rager en moi.

Je décidai alors de m’y rendre plus rapidement : Johnny était l’un des leurs, ces soi-disant psychiatres l’étaient aussi, et tous complotaient contre moi depuis des lunes pour m’éloigner de leurs sinistres aspirations.

De ce fait, je bondis du bosquet pour interpeller l’officier qui ne sut me répondre que par la bouche de son pistolet.

Je m’appelle Mike, et on dit que je suis atteint de schizophrénie paranoïde. Je suis en détention à l’Institut Louis-Philippe Pinel de Montréal.