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Vive la liberté… des espions?

Julie, 22 ans, originaire de Sherbrooke, vit actuellement à Montréal, étudie la science politique, aime le film Du soleil plein la tête, entretient une relation compliquée, ira au lancement d’album de The Young Novelists le 23 mai prochain, était à Québec la fin de semaine dernière et souffre du papillomavirus.

Quoi, quelque chose vous choque ? Je pensais que c’était correct de tout vous révéler sur cette jeune étudiante de l’UdeM. Après tout, elle ne nous cache rien. Une petite enquête sur « les internet » et hop, un profil se dessine sous mes yeux. C’est qu’elle l’a bien voulu, non ?

Si Julie est un personnage tout droit sorti de mon imagination, je sais qu’elle existe réellement. Julie, Geneviève, Jean, Xavier, Ariane… Ils ont tous dit oui. « 10 h 35. Connexion à Facebook. MacBook Pro. Géolocalisation : Hochelaga-Maisonneuve. 10 h 40 : photo publiée. »

« Oui Facebook, je t’apprends que j’ai passé une soirée merveilleuse avec mes amis hier soir au Centre Phi. Puisque la Terre entière te confie ses données, qu’est-ce que ça peut bien changer ? »

Le fait de partager le plus beau cliché de votre brunch ne vous pose pas le moindre problème ? Qu’en serait-il si cette série d’informations vous concernant était partagée : « 14 h 30 : rendez-vous médecin. Géolocalisation : Rosemont. Symptômes : maux de ventre. Diagnostic : maladie intestinale gênante » ?

Vous me répondrez : « Comment ça se pourrait puisque je fais le choix de ce que je partage ou non ? » La réponse se cache sur les sites internet de plusieurs centres hospitaliers, notamment celui du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Des mouchards y ont été trouvés par Le Devoir*.

Alors certes, ces mouchards n’ont pas accès à votre dossier médical. Mais selon Le Devoir, ils ouvrent « tout grand la porte au profilage médical des internautes ». Vous consultez une page liée au Centre des naissances du CHUM ? On peut très bien en déduire que vous êtes enceinte. Surtout que cette information peut être croisée avec l’historique de vos recherches passées. Plus largement, ces données en disent long sur vos préoccupations médicales. Et peuvent être nominatives.

« Le CHUM et les autres centres hospitaliers visés dans cet article du Devoir ne veulent que mon bien, s’ils collectent ces informations, c’est simplement pour améliorer leurs services et ma propre navigation sur leur site ! » Oui, vous avez raison, vous les voyez aussi autour de vous, tous ces papillons et ces arcs-en-ciel ? Nous vivons dans un monde féerique et dénué de vices. Les entreprises privées spécialisées dans l’analyse du trafic internet n’auraient-elles pas intérêt à utiliser ces informations autrement ?

Le Devoir nous explique que les mouchards trouvés sur les sites internet de ces différents centres hospitaliers seraient liés à des entreprises américaines, dont Google et AOL, qui vendent entre autres du service de profilage d’internautes « dans une perspective publicitaire et commerciale ». Vous la voyez, tout à coup, cette publicité pour des poussettes dans le coin de votre écran ? Souriez, vous êtes traqués !

Et l’UdeM, dans tout ça ?

Le CHUM et l’UdeM sont des organismes complètement indépendants. S’il est difficile de savoir quel est l’usage précis des informations collectées sur vous par le site du CHUM, vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il en était pour le site de l’Université de Montréal ? Plus de 42 000 étudiants, ça en fait du stock !

Si vous vous rendez à l’adresse https://admission.umontreal.ca/confidentialite/ sur le site de l’Université, vous ne pourrez pas louper cette petite phrase intrigante : « Ce site collecte certaines données personnelles de ses utilisateurs. » Un peu plus loin, il est écrit noir sur blanc : « Si vous vous inscrivez ou que vous vous connectez sur le site par l’entremise de réseaux sociaux tels que Facebook, Google ou Linkedln, le Service de l’admission et du recrutement (SAR) vous demande explicitement de collecter depuis votre profil des informations personnelles telles que votre date de naissance, votre sexe, vos données publiques du profil, dont votre photo et votre scolarité ». Le but, selon le SAR : lui permettre de fournir ses services et de faire des analyses statistiques.

C’est évidemment le lot commun de la plupart des sites auxquels vous vous connectez. Mais encore une fois, comment savoir si toutes ces données sont utilisées uniquement « aux fins de fournir le service demandé par l’utilisateur », comme le précise le site de l’UdeM ?

Le SAR a-t-il réellement besoin de votre photo et de votre adresse pour vous offrir le meilleur service possible ? Au même titre que le CHUM, l’UdeM travaille-t-elle avec des entreprises privées ? Et si tel est le cas, sait-on comment elles utilisent nos données ? Le CHUM, pour sa part, le sait-il?

Outre cela, à l’UdeM, le traitement de nos données fait appel à des êtres humains. La semaine dernière, notre chroniqueuse Émilie Mouchard mentionnait une faille de confidentialité qui s’est produite le 17 avril dernier à l’Université. La Direction des finances s’en est excusée. Il est évident qu’il n’y avait là aucune volonté de la part de l’UdeM de divulguer ces données personnelles. Mais cela montre que nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur humaine.

Ne soyez donc pas trop sentimentaux avec vos données : actuellement, elles se baladent peut-être entre les mains de Facebook, de Google, d’étudiants que vous ne connaissez ni d’Ève ni d’Adam, ou du SAR qui souhaite améliorer votre navigation… Dites-vous qu’elles coulent des jours heureux dans un autre monde. Enfin, je n’imagine pas plus de papillons ni d’arcs-en-ciel dans ce monde-là.

 

*Source : http://www.ledevoir.com/non-classe/439131/sites-web-des-hopitaux-infestes-de-mouchards

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