La période des examens approche. Elle est souvent synonyme de stress, de cafés et de nuits blanches pour les étudiants qui s’avouent désemparés devant les échéances. La procrastination n’est ni une fatalité ni une maladie. Mieux la comprendre et se connaitre permet de la combattre.
Pourquoi faire aujourd’hui ce que l’on peut remettre à demain? Telle est la devise du finissant au baccalauréat en littératures de langue française, Yann*. « Je me reconnais dans cette phrase, avoue-t-il. J’essaie de m’améliorer et de ne pas repousser sans cesse les choses, mais cela revient insidieusement. »
Yann souffre de procrastination comme 95 % de la population, selon le chercheur en psychologie et professeur à l’Université de Calgary, Piers Steel. Procrastiner consiste à reporter à plus tard des tâches importantes, tout en ayant conscience des conséquences nuisibles que peut entraîner ce report. «À ce jour, je n’ai plus aucune emprise sur ma procrastination, confie Yann. Quand j’étais au secondaire et au cégep, l’adrénaline m’aidait à rédiger mes devoirs. C’était le fun. Mais, là, j’aimerais vraiment régler ce problème. »
Le constat est similaire pour le finissant au baccalauréat en génie civil à l’École polytechnique Tom*. « Jusqu’à maintenant, j’arrivais à m’en sortir. Mais, depuis janvier dernier, ma procrastination s’est accentuée, explique-t-il. Avant, je révisais la veille de mon examen, mais maintenant je m’y mets la nuit précé- dente ou le matin de l’examen, s’il a lieu l’après-midi. »
La procrastination est une pratique très commune. « La procrastination est normale, mais c’est quand elle devient chronique qu’elle pose problème », souligne la coordonnatrice du secteur Soutien à l’apprentissage du Centre étudiant de soutien à la réussite (CÉSAR) de l’UdeM, Dania Ramirez. En effet, repousser indéfiniment les tâches à accomplir peut avoir des conséquences négatives. « J’ai déjà rendu un devoir avec deux ou trois semaines de retard, et ma note est passée de A- à C +, raconte Yann. J’ai aussi déjà coulé un cours en raison d’un retard de trois ou quatre jours. »
Le poids de sa procrastination se répercute aussi dans sa vie quotidienne. «Lors d’un voyage en Europe, après avoir enregistré mes bagages, il me restait 30 minutes avant d’embarquer. J’ai quand même raté mon avion, explique Yann. Le suivant était cinq heures après, mais j’ai dormi six heures. J’ai donc raté une deuxième fois mon vol. »
La procrastination se manifeste généralement à l’adolescence avec l’apparition des respon- sabilités, les enfants n’étant pas capables de se projeter dans l’avenir. « La procrastination est essentiellement liée à l’autonomie », souligne le professeur de philosophie de l’Université Laval à Québec et coéditeur de la revue Nouveau Projet, Jocelyn Maclure. Il consacre un long article à la procrastination dans le dernier numéro de la revue.
Connais-toi toi-même
Bonne nouvelle : la procrastination n’est pas un mal incurable. Pour réussir à dominer leur envie de procrastiner, les étudiants doivent apprendre à se connaître. Procéder par étapes est une des meilleures choses à faire. « Il faut apprendre à structurer sa journée et à décomposer ses projets », conseille M. Maclure.
Professeure en psychologie du travail et des organisations à l’UdeM, Véronique Dagenais-Desmarais insiste sur la bonne utilisation de ses ressources intellectuelles. « De même qu’un athlète qui s’entraîne au quotidien pour réaliser de bonnes performances, l’étudiant doit s’entraîner au quotidien pour éviter la procrastination, souligne-t-elle. Travailler régulièrement augmente la productivité. »
Le CÉSAR met aussi en place des ateliers pour aider les procrastinateurs. Au début de chaque session, le Centre organise un atelier « Vaincre la procrastination » qui permet aux étudiants de comprendre leur problème et d’en venir à bout. « Nous essayons d’apprendre à l’étudiant à gérer son temps, à planifier, à se donner des habitudes de travail, mais aussi à chercher la cause de sa procrastination», soutient Mme Ramirez.
Yann et Tom ont déjà fait appel aux services de l’Université pour vaincre leur procrastination. « J’ai compris que mes dépenses compulsives étaient aussi liées à ma procrastination », confesse Tom, qui a fait appel à un psychologue du Service des étudiants de Polytechnique. « Je sais maintenant qu’il faut affronter les choses, car elles ne sont pas aussi impressionnantes qu’elles en ont l’air. Maintenant que j’ai saisi les mécanismes de la procrastination, il ne tient qu’à moi d’agir. »
L’expérience de Yann s’est révélée moins convaincante. « J’ai consulté des psychologues de l’UdeM en janvier 2012 pour des raisons personnelles, explique-t-il. Lors d’une séance, j’ai parlé de procrastination, mais la psychologue m’a répondu qu’il fallait que je prenne sur moi. » Cependant, l’étudiant en littératures de langue française est parvenu à mettre des mots sur les causes de sa procrastination. Le report incessant de ses tâches serait lié à son perfectionnisme. « Travailler à la dernière minute est une façon de ne pas donner son maximum.La peur de réussir m’amène à faire de l’autosabotage, explique- t-il. Et puis, ça me permet d’être satisfait d’un devoir qui a pourtant été rédigé au dernier moment. »
Contrairement à ce que pensent certains étudiants, travailler à la dernière minute ne permet pas de rendre un meilleur travail ou de se découvrir des capacités insoupçonnées. « Le travail de dernière minute demande beaucoup d’énergie et de volonté. C’est une fausse impression de penser que sous la pression on est bon, rectifie M. Maclure. On confond l’in- tensité et la productivité avec la qualité. »
Selon lui, la société actuelle, focalisée sur le présent, favorise la procrastination, néfaste pour son soi future. « Nous sommes plus vulnérables à la gratification immédiate, ce qui entraîne une incapacité à se projeter dans l’avenir, précise M. Maclure. On a donc tendance à accorder moins d’importance à quelque chose qui paraît loin de nous. » Le récent phénomène de You only live once (YOLO) contribue aussi à la tendance à maximiser son temps, à en profiter et à cueillir le jour sans se soucier des conséquences à l’avenir. Or, pour Mme Ramirez, le procrastinateur vit tout sauf le moment présent. «L’étudiant qui procrastine ne profite pas de chaque instant, puisqu’il se culpabilise de ne pas étudier, affirme-t-elle. Au contraire, il devrait éviter la procrastination pour jouir pleinement du présent. »
Le thème de la procrastination sera abordé lors de l’atelier « Survivre à la fin de session » organisé par le CÉSAR le jeudi 11 avril à 17 heures. Des ressources sont également disponibles sur Les hauts et les bas des études supérieures, la page Facebook animée par Mme Dagenais-Desmarais.