«J’espère transmettre l’aspect du « moralement juste », déclare M. Turp. Dans les recours que j’ai faits, c’est toujours une question humanitaire pour le respect des droits fondamentaux et l’enjeu du respect du Canada dans ses propres lois. »
Dans l’affaire de l’opération Droits blindés, le professeur de l’UdeM se dit très fier de ses étudiants, envers lesquels il est reconnaissant pour leur démarche volontaire. L’équipe a pu faire appel à des avocats réputés qui travaillent pro bono. « Notre démarche est perçue comme légitime, explique-t-il. Ce sont des litiges qui font appel au droit, et dans un État de droit, il faut que ces choses soient faites pour respecter la loi. »
Une démarche morale
Selon l’une des étudiantes à la maîtrise de droit qui travaille avec lui Amber Kayani, c’est un combat qui va au-delà de la sphère juridique. « Même si on ne gagne pas, il y aura un effet moral, dit-elle. Les juges et les citoyens liront le rapport et auront une pression morale importante, et ça montrera la vérité aux gens. » Selon elle, le Canada a le devoir, au nom de ses propres valeurs, de prendre en compte le risque pour les droits des individus, dans des pays où ces derniers ne jouissent pas des mêmes libertés.
« On tente de faire la preuve que cet équipement militaire peut servir à des fins armées contre les civils », dénonce M. Turp. À ce jour, l’opération Droits blindés n’a pas encore convaincu les tribunaux, mais le professeur et ses étudiants attendent désormais l’opinion de la Cour suprême du Canada.
À la base du litige se trouve le fait que le gouvernement Trudeau a délivré des permis d’exportation pour la vente de véhicules blindés en Arabie saoudite à l’entreprise General Dynamics Lands Systems Canada, procédure qui avait commencé sous le gouvernement Harper. La valeur de ce contrat pour le Canada s’élève à 15 milliards de dollars.
Selon M. Turp, l’État viole ses propres lois, car le matériel militaire risque d’être utilisé pour des violences, possiblement meurtrières, à l’encontre des populations civiles au Yémen. « C’est prévu dans le droit canadien de 1986, détaille-t-il. Lorsqu’il y a un risque que l’équipement militaire serve à violer des droits humains fondamentaux, on ne devrait pas permettre l’exportation en question. »
Un engagement désintéressé
Le professeur n’en est pas à son premier recours contre le Canada. Il a auparavant lutté contre le retrait du pays du protocole de Kyoto et pour faire cesser le transfert aux Etats-Unis de détenus qui seraient envoyés à Guantanamo.
Celui qui a été député du Parti québécois dans l’arrondissement Mercier regrette que la partie adverse ait voulu disqualifier ses démarches judiciaires. « Les procureurs essayaient de convaincre les juges que je n’avais même pas à prendre ce recours en tant que civil, déplore M. Turp. Pourtant, il faut savoir que les citoyens ont le droit d’être entendus dans ces questions du respect des droits constitutionnels, civils et internationaux. » Par la suite, le jugement de la Cour fédérale de 20171 a reconnu que la démarche du professeur et de ses étudiants était raisonnable, dans l’intérêt du bien public seulement, et non par intérêt personnel.
« En tant que professeur, j’essaie de montrer que certains gouvernements n’appliquent pas toujours la loi », explique M. Turp. Il rejette toute conviction politique dans les actions qu’il mène devant la justice en expliquant que le respect de la loi est fondamental et demeure l’objectif de ses prises de position. Le professeur estime que l’expérience s’avère particulièrement formatrice pour ses étudiants.
Lutter pour la justice
S’impliquer dans ce recours a donné envie à Amber de poursuivre les luttes sociales au nom des droits fondamentaux. « J’ai toujours voulu faire quelque chose qui va aider l’humanité, notamment pour ceux qui n’ont pas la même chance que moi », souligne-t-elle. Fière de l’aspect moral de cette affaire judiciaire, elle se dit très enthousiaste d’avoir pu participer au projet.
1. Turp c. Canada (ministre des Affaires étrangères), 2017
UNE AFFAIRE À REBONDISSEMENTS
Après avoir essuyé une défaite à la Cour d’appel fédérale, M. Turp et ses étudiants attendent, depuis l’été 2018, le jugement de la Cour suprême du Canada pour faire annuler ces permis d’exportation. Le recours judiciaire a débuté deux ans plus tôt et les protagonistes se disent optimistes avant le verdict final.
Dans les précédents jugements, les procureurs du ministre des Affaires étrangères (qui représentent le Canada) ont fait valoir le manque de preuves et le fait qu’aucun acte de violence n’a été commis par le passé avec des blindés canadiens. Selon Daniel Turp, ce raisonnement est erroné, car il n’induit pas nécessairement que le risque est inexistant. Pour lui, l’État mettrait en danger les droits de la personne en permettant ces ventes militaires.