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un passé atomique à l’UdeM

Quartier Libre : Pourquoi la ville de Montréal a-t-elle été choisie pour l’implantation d’un laboratoire dans le cadre du projet Manhattan ?

Michel Fortmann : Le laboratoire de Montréal a été créé en 1942, d’une initiative britannique, pour accueillir certains des physiciens qui avaient participé aux recherches entreprises en Grande-Bretagne sur la fission nucléaire. Environ 300 chercheurs y ont travaillé, notamment plusieurs scientifiques de haut niveau qui avaient fui l’Europe nazie. Mais les recherches effectuées à Montréal de 1942 à 1945 n’ont eu qu’un lien ténu avec la fabrication de l’arme nucléaire elle-même.

Pour l’essentiel, la production des matières fissiles et la mise au point des premières armes nucléaires s’est faite aux États-Unis, dans les installations d’Oak Ridge au Tennessee, à Stanford dans l’État de Washington et à Los Alamos au Nouveau-Mexique.

L’équipe de chercheurs montréalais a été tenue à l’écart du projet Manhattan, ce qui s’explique en particulier par la méfiance politique des Américains à l’égard des chercheurs étrangers, notamment français, dont on soupçonnait des affinités avec le communisme. Le laboratoire de Montréal permettait donc aux autorités américaines de garder leurs distances par rapport à des personnes jugées politiquement suspectes, tout en profitant marginalement de leurs travaux.

Q.L. : Qui étaient les chercheurs du laboratoire de Montréal et avaient-ils conscience qu’ils allaient contribuer à l’élaboration d’une bombe nucléaire ?

M.F. : Plusieurs des principaux chercheurs de l’équipe avaient quitté l’Europe nazie. On peut mentionner des Français, tels que Hans von Halban, Pierre Auger et Bertrand Goldschmidt. Ce dernier deviendra par la suite l’un des pères du programme nucléaire français. Des scientifiques de ce niveau connaissaient probablement la nature du projet auquel ils participaient, mais ils n’en savaient certainement pas autant que les chercheurs de Los Alamos, qui se trouvaient au cœur du programme Manhattan.

Q.L. : L’UdeM n’avait donc pas connaissance de l’objectif des recherches menées dans ces locaux ?

M.F. : Non, je ne pense pas. À part certains scientifiques eux-mêmes, qui devaient se douter qu’ils participaient à un projet plus ambitieux que ce qu’on leur avait dit. Je ne pense pas non plus que l’administration ou l’Université elle-même aient été dans le secret. Si dans l’histoire, une entreprise a été tenue particulièrement secrète, c’est bien le projet Manhattan.

Q.L. : Quelle a été la contribution montréalaise dans ce projet ?

M.F. : La contribution du laboratoire au projet Manhattan a été très marginale. S’il est vrai que le Canada a contribué à la fabrication de l’arme nucléaire, c’est surtout en fournissant le minerai d’uranium, qui servira, d’une part, à la production d’uranium enrichi et, d’autre part, à la fabrication de plutonium, c’est-à-dire les deux matières fissiles nécessaires aux bombes d’Hiroshima et de Nagasaki.

En revanche, après la guerre, les recherches canadiennes ont été poursuivies dans les laboratoires de Chalk River, en Ontario, et ont donné lieu à la mise au point d’un réacteur nucléaire très performant, le CANDU.

Le Canada a ainsi développé son infrastructure nucléaire en se spécialisant dans la fabrication de réacteurs à eau lourde, fonctionnant à partir d’uranium naturel. Cette technologie fut d’ailleurs cédée à l’Inde dans les années 1950 et 1960. C’est le plutonium produit par un réacteur canadien qui a permis à ce pays de mettre au point sa première bombe nucléaire en 1974.

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