Volume 21

(Illustration: Mélaine Joly)

Un département dépeuplé

La démographie est une science statistique qui étudie les populations et leurs mouvements. Méconnue au Québec, elle attire peu d’étudiants alors que sa contribution à la compréhension des enjeux socio-économiques est pourtant majeure.

La nouvelle du décès, le 2 septembre dernier, du doyen des démographes québécois, Jacques Henripin, a été reprise dans les médias. La discipline pour laquelle il a consacré sa vie reste cependant assez méconnue au Québec. L’UdeM dispose du seul Département de démographie en Amérique du Nord. Un département que M. Henripin a fondé en 1965. L’UdeM, qui n’offre pas de baccalauréat en démographie, ne délivre qu’une dizaine de maîtrises et quelques doctorats par an.

Une situation qui frustre le directeur du Département de démo- graphie de l’UdeM, Thomas Kingston Legrand. « Nos diplômés ne connaissent pas le chômage, assure-t-il. Leur emploi d’été se transforme souvent en emploi permanent. » Les débouchés sont en effet nombreux. La plupart des diplômés en démographie de l’UdeM travaillent pour la fonction publique provinciale ou fédérale.    « La division démographique de Statistique Canada est la seule structure fédérale majoritairement francophone, souligne M. Kingston Legrand. Ce sont tous des anciens de notre Département. »

Des diplômés partent également travailler pour des entreprises comme Hydro-Québec. Leurs compétences sont utiles à la gestion des ressources humaines. Certains font carrière à l’international. François Pelletier, diplômé d’une maîtrise en démographie en 1994, est aujourd’hui chef de la section de la mortalité à la Division de la population aux Nations unies.

Pour M. Kingston Legrand, le manque d’intérêt des étudiants pour la démographie s’explique en partie du fait qu’elle n’est pas enseignée au cégep. Les étudiants sont également rebutés par les chiffres, selon le professeur émérite à l’UdeM Jacques Légaré.      « C’est une science sociale quantitative et certains ont peur qu’il y ait trop de quantitatif, explique-t-il. Ceux qui sont intéressés par cet aspect-là au cégep vont plutôt étudier les sciences dures ou l’économétrie. »

Une discipline sous-estimée

Le fait que les étudiants délaissent la démographie au profit d’autres disciplines s’inscrit en décalage avec les préoccupations du gouverne- ment. Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Pierre Duchesne, a décrété que les questions sur l’identité, les changements de la famille et du vieillissement de la population constituaient trois priori- tés de recherche. « Toutes font appel à la démographie car réfléchir à la question identitaire implique l’étude des flux migratoires, constate M. Kingston Legrand. Les plus grands enjeux sociaux et économiques sont profondément démographiques. »

Une position que partage M. Légaré. Il cite les mots que le professeur d’économie à l’Université de Toronto, David K. Foot, a écrit dans son livre Entre le boom et l’écho : Comment mettre à profit la réa- lité démographique. « La démo- graphie explique les deux tiers de tout », déclare-t-il . La prise en compte de la dimension démographique des enjeux socioéconomiques est essentielle, selon M. Légaré. « Si on l’ignore, on risque des erreurs », affirme-t-il. Il prend l’exemple de la situation que connaissent présentement les universités québécoises. « Elles comptent sur les étudiants étrangers car les cohortes québécoises ne sont pas suffisantes, le nombre de personnes en âge de faire des études ayant baissé, précise-t-il. Les universités préfèrent garder la tête dans le sable. »

Si la démographie est peu connue des étudiants, elle l’est également des entreprises. Hydro-Québec emploie des démographes pour anticiper l’évolution de ses ressources humaines et notamment, les départs à la retraite. Des entreprises de commerce ont également intérêt à recru- ter des démographes. « Les supermarchés Métro ou la SAQ pour- raient savoir précisément quels produits offrir à leurs clients en étudiant la population des quartiers dans lesquels ils sont situés », estime M. Légaré. Le département de démographie de l’UdeM envisage donc de créer une maîtrise avec stage. Il s’agit de mieux préparer les étudiants à travailler pour le secteur privé mais aussi de faire prendre conscience aux entreprises de l’utilité de faire appel aux compétences des démographes.

Dimension internationale

Le Département de démographie de l’UdeM est particulièrement en pointe sur la question de la démo- graphie en Afrique. La plupart de ses doctorants travaillent d’ailleurs sur ce thème et sont originaires du continent africain. C’est le cas d’Yentéma Onadja, qui vient du Burkina-Faso. Il a choisi l’UdeM pour faire son doctorat car elle offre la meilleure formation en français, avec l’Université catholique de Louvain en Belgique. Une décision également influencée du fait que le directeur de l’équivalent de Statistique Canada dans son pays d’origine est un ancien diplômé de l’UdeM.

La prise en compte du facteur démo- graphique est essentielle au développement de l’Afrique, un continent qui voit sa fécondité rester stable dans les milieux ruraux mais baisser dans les villes. « Le problème du vieillissement de la population en Afrique n’est pas encore aussi important qu’au Canada ou en Europe, mais le continent y sera aussi confronté dans le futur, explique M. Onadja. Il faut donc trouver des solutions pour que cela ne vienne pas plomber le développement économique africain ». Que ce soit au Québec ou en Afrique, la démographie ne manque donc pas de pertinence.

Fanny Bourel

 

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