Le capital de sympathie de l’alcool s’émousse auprès des jeunes générations de Québécois. Le cannabis, lui, gagne en popularité, tant auprès des consommateurs que des autres. Un constat qui reflète une normalisation générale de cette drogue dite douce, selon les observateurs.
Y aurait-il un changement inédit dans les perceptions des jeunes Québécois par rapport à l’alcool et au cannabis? C’est ce que suggèrent les résultats d’un sondage réalisé par le ministère de la Santé et des Services sociaux à l’hiver dernier auprès de 1001 jeunes de 15 à 24 ans et rendu public par le journal La Presse en septembre. Ce sondage révèle qu’un jeune sur cinq trouve normal le fait de consommer du cannabis dans un «bon party» alors qu’ils ne sont que 13 % à considérer de même la présence de personnes saoules .
D’après un document publié en 2010 par la Fédération des cégeps, c’est parmi la population des 20 à 24 ans que l’alcool demeure le plus largement consommé. User de la boisson est donc loin d’être perçu comme un comportement marginal ou déviant. En revanche, en abuser semble être de moins en moins bien considéré par la jeune génération, abreuvée aux campagnes de prévention. «Avant, un “vrai homme” pouvait conduire son auto en état d’ébriété, personne ne pensait que c’était inadéquat, constate le criminologue spécialiste des toxicomanies de l’UdeM, Serge Brochu. Maintenant, on essaie de dissuader celui qui le fait» .
Certains se félicitent de cette évolution, à l’instar de la présidente d’Éduc’alcool, Louise Nadeau, également enseignante en psychologie à l’UdeM. «Je suis très contente, commentet- elle. Cela veut dire qu’on a réussi à ce que l’intoxication soit perçue négativement et à faire passer le message qu’être saoul, ce n’est pas cool.» Selon le sociologue de la jeunesse, Jacques Hamel, le recul de la popularité de l’ivresse s’expliquerait comme une manière pour les jeunes de s’affirmer par rapport aux adultes .
«La forte consommation d’alcool est souvent associée aux aînés, aux parents et aux grands-parents, que les jeunes ont parfois vus ivres. Ils ne trouvent pas cela plus reluisant que fumer un joint une fois de temps en temps, analyse-t-il. C’est une espèce de critique adressée aux générations plus âgées.»
Une normalisation du cannabis
La jeunesse tend donc à préférer la marijuana à la promesse d’une gueule de bois. Une perception rationnelle selon M. Brochu. « Les jeunes disent qu’il vaut mieux consommer du pot que d’être paqueté. Et, quelque part, ils ont raison. C’est un choix très mature, pense-t-il. Car ils ne disent pas non plus que se geler comme une balle sur le pot est mieux que d’être ivre, ce qui serait beaucoup moins acceptable.»
Cette popularité accrue du cannabis – c’est la drogue dont l’usage est le plus répandu chez les Québécois de 15 à 24 ans – inquiète toutefois Mme Nadeau. Elle déplore le manque d’informations données aux jeunes. «Il n’y a aucune stratégie de prévention, ajoute-t-elle. Les jeunes ne se font jamais dire les dangers réels du cannabis, qui est une drogue qui a des composantes nocives assez importantes.»
Un phénomène de normalisation à l’égard de la consommation de cannabis est pourtant à l’oeuvre dans la société québécoise. La tolérance vis-à-vis de la marijuana est plus grande chez les jeunes générations, comparativement à celle de leurs grands-parents. «Pour qu’il y ait normalisation, il faut qu’il y ait une augmentation de l’accès et de la consommation d’une drogue ainsi que de la tolérance des individus, y compris chez les abstinents, explique M. Brochu. Cette tolérance se retrouve dans les représentations sociales, en particulier à la télévision ou au cinéma.»
M. Hamel relativise cette augmentation supposée des pratiques de consommation. « Pour faire comme les autres, certains jeunes peuvent se déclarer consommateurs alors qu’en fait, ils n’en prennent pas, affirme-t-il. Fumer de la marijuana est aujourd’hui une espèce de rite d’initiation, de passage de l’adolescence à l’état de jeune adulte.» Il estime que ce phénomène est encouragé par le caractère illégal du cannabis, qui représente un incitatif non négligeable pour les plus jeunes. «L’interdit a toujours quelque chose d’attrayant, surtout quand on est adolescent et qu’on passe à l’âge adulte, alors que si c’était plus accepté, cela aurait moins d’attrait », juge-t-il. Un goût de l’interdit qui risque de diminuer à mesure que la consommation de cannabis se normalise.