Symphonie écologique

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Par Félix Lacerte-Gauthier
mercredi 22 mars 2017
Symphonie écologique
Le temps presse : une contre-histoire environnementale du Canada moderne. Vue d’installation, 2016. Crédit photo : Courtoisie CCA.
Le temps presse : une contre-histoire environnementale du Canada moderne. Vue d’installation, 2016. Crédit photo : Courtoisie CCA.
Pour le concert Paysages sonores pour le temps présent, présenté au Théâtre Paul-Desmarais le 23 mars prochain, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) a invité quatre jeunes compositeurs issus du milieu universitaire à écrire des œuvres inspirées de l’exposition Le temps presse du Centre canadien d’architecture (CCA).
« Ma pièce traite beaucoup de la contradiction entre deux effets sonores. D’une part, le chant des oiseaux et, de l’autre, des bruits d’usine. »
Simon Grégorcic, étudiant au diplôme d’études supérieures en musique au Conservatoire de musique de Montréal.

«J’ai travaillé comme critique de musique classique et c’est vraiment intéressant de pouvoir combiner ces deux passions, confie le conservateur du public du CCA, Lev Bratishenko. Et la problématique environnementale est trop importante aujourd’hui pour être laissée uniquement aux architectes. » Il espère que cette réflexion par la musique permettra de sensibiliser un nouveau public à ces enjeux et de leur apporter une autre perspective.

Auteur de Transmigrations, l’étudiant à la maîtrise en composition et création sonore à l’UdeM Nicolas Des Alliers voulait intégrer l’idée de transformation dans son œuvre. « Elle se découpe en quatre mouvements très courts, dans lesquels on retrouve chaque fois un élément qui se transforme, explique-t-il. Par exemple, dans le premier mouvement, on part d’un registre très aigu pour descendre lentement vers des sons graves. » La transformation des paysages canadiens l’a particulièrement marqué, alors qu’à ses yeux, la population est passée de vouloir conquérir la nature à constater sa fragilité et désirer la protéger.

L’étudiant au diplôme d’études supérieures en musique au Conservatoire de musique de Montréal Simon Gregoric voulait dénoncer, à travers son œuvre La machine à paysages, la problématique des grands environnements canadiens qui sont dévastés par les industries. « Ma pièce traite beaucoup de la contradiction entre deux effets sonores. D’une part, le chant des oiseaux et, de l’autre, des bruits d’usine, révèle-t-il. C’est une pièce qui a une esthétique plutôt impressionniste, qui traite d’un sujet grave, ce qui est rare en musique contemporaine, et qui est plus souvent abstraite. » Pour ce faire, il a étudié la structure des chants de merles. En analysant leurs composantes spectrales, il en a tiré des notes musicales qu’il a pu insérer dans sa composition, pour ensuite répéter cette démarche avec des bruits d’usine.

« Il y avait, dans l’exposition, la photo d’une cour d’école, et la légende indiquait qu’il y avait des produits radioactifs juste à côté, raconte le doctorant en composition à l’Université McGill Brice Gatinet. Une autre photo montrait un beau lac, mais qui est fortement contaminé. Je me suis inspiré de cette idée que derrière ce qui est beau peut se cacher quelque chose de toxique. » Ce contraste se retrouve dans son œuvre …dés..astre(s), où un glissando [NDLR : glissement continu d’une note à l’autre] de corde, représentant une rivière qui coule, est interrompu par une puissante explosion de l’orchestre, symbole du désastre. « La première fois que l’orchestre intervient, c’est très frappant, affirme-t-il. Mais, peu à peu, ces accords se fondent ensemble et on n’entend plus que la rivière, derrière laquelle s’intègre cette idée de désastre. »

Composer avec un orchestre professionnel

Dans une optique de collaboration, l’OSM a approché le CCA avec l’idée d’un concert. « Nous travaillons souvent avec les institutions d’enseignement et avec des compositeurs étudiants, dévoile la directrice de la programmation musicale de l’OSM, Marianne Perron. Ça nous permet de contribuer au développement de la création musicale québécoise. » Elle souligne que le rapprochement entre les institutions s’est fait naturellement, rappelant que les artistes sont souvent influencés par les événements de leur époque.

Pour les étudiants, l’événement représente aussi une façon de progresser dans leur domaine. « Ça m’a permis d’explorer de nouvelles sonorités tout en gardant une esthétique traditionnelle, témoigne Simon. C’est un paradoxe que j’ai réussi à faire dans ce travail. » Il espère que le concert lui permettra de rejoindre un nouveau public.

Nicolas a pu tester son œuvre auprès de l’Orchestre de l’UdeM, qui a fait une lecture des trois premiers mouvements de Transmigrations. « J’ai pu apprendre à mettre en évidence le plan que je veux entendre et de préciser ce que je voulais obtenir », souligne-t-il.

De son côté, Brice déplore un manque de communication de la part de l’OSM puisqu’il ignore comment se dérouleront les enregistrements et qu’il ne connaît pas les dates de répétitions. « Je ne me sens plus vraiment dans le processus, confie-t-il. Habituellement, j’ai un petit rapport avec la production, mais avec un orchestre professionnel, tout est compartimenté. Je devais seulement rendre ma partition et attendre. » Il espère toutefois pouvoir profiter des commentaires des musiciens, ainsi que des enregistrements du concert, pour progresser dans son milieu. Il a hâte à son « double barre », ce symbole musical signalant la fin d’un morceau, qui va clore cette aventure.