Sociologie du gym

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Par Félix Lacerte-Gauthier
lundi 7 novembre 2016
Sociologie du gym
La salle d'entraînement du Centre d'éducation physique et des sports (CEPSUM). Crédit photo : Mathieu Gauvin.
La salle d'entraînement du Centre d'éducation physique et des sports (CEPSUM). Crédit photo : Mathieu Gauvin.
L’arrivée imminente de l’hiver et le retour du froid peuvent pousser les étudiants à fréquenter davantage les salles d’entraînements. Tour d’horizon des profils sociologiques que l’on y trouve.
« On entend parfois les poids tomber lourdement, c’est intentionnel. On veut montrer qu’on a une charge lourde et qu’on est fort » Pierre Sercia, professeur au Département des sciences de l’activité physique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Le professeur au Département des sciences de l’activité physique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Pierre Sercia classe les utilisateurs de salle d’entraînement en trois catégories : ceux qui veulent perdre du poids, ceux qui s’entraînent pour être en santé, et enfin, ceux (surtout les hommes) qui désirent avoir une silhouette de culturiste. Le comportement des utilisateurs peut alors varier selon ces différents profils. « Généralement, ceux qui vouent un culte au corps se remarquent rapidement, ils sont en groupe et aiment se montrer », explique-t-il. Au contraire, ceux qui veulent perdre du poids s’entraînent souvent en privé pour ne pas se montrer, car ils sont gênés.

« Ceux qui veulent développer rapidement leur corps pour montrer leurs gros bras vont seulement entraîner le haut, s’exclame-t-il. Ils investissent beaucoup de temps, mais aussi de l’argent, par exemple pour acheter de la nourriture spéciale protéinée. » Chez ce type d’utilisateur, le chest-bras n’est pas un mythe, mais bien une réalité selon le professeur. Tout est codifié pour accaparer l’attention, du choix des vêtements, qui n’est pas non plus laissé au hasard, jusqu’à la façon de se comporter. « On entend parfois les poids tomber lourdement, c’est intentionnel, assure-t-il. On veut montrer qu’on a une charge lourde et qu’on est fort. »

Défendre son territoire

L’étudiant au baccalauréat en sociologie à l’UdeM Jean-François Cazes a remarqué un certain rapport de pouvoir entre les anciens face aux nouveaux. « Quand tu vas t’entraîner au début, tu vas subir un jugement des pairs, pas nécessairement verbalement, mais par le regard par exemple et tu le sens tout le temps », révèle-t-il. Ces relations inégales entre les gens est beaucoup basée sur la comparaison selon lui. « C’est de voir le temps que les gens passent au gym et leur musculature qui crée une hiérarchie », ajoute Jean-Francois.

Ces normes sociales se matérialisent aussi selon des codes informels dans les salles d’entraînement. « Les plus achalandés ont des règles implicites, notamment qui utilise quel appareil et dans quel ordre, illustre M. Sercia. Par exemple, si une personne fait trois machines dans l’ordre, elle va laisser une serviette et l’on devrait savoir qu’on ne peut pas y aller. » Un autre phénomène donné en exemple par le professeur concerne le choix des poids. « Si une personne a mis telle charge, celui qui passe après va vouloir l’augmenter pour montrer qu’il est plus fort et qu’il en fait plus », ajoute-t-il.

L’étudiant au baccalauréat en génie civil à Polytechnique Pierre-Olivier Leclerc a pris conscience de cela. « Il y a les règles sociales, le respect de l’ordre d’arrivée des gens sur les machines, ne pas crier, se comporter comme du monde », liste-t-il.

Au-delà de la démonstration de force, la salle de sport peut représenter un point de rencontre et de socialisation. « Au gym, j’ai la réputation d’être ultra social. Dès que j’arrive, je dis bonjour à tout le monde », lance l’étudiant au DESS en droit des affaires Raphaël Pallanca qui représente l’exemple type de l’habitué. L’entraînement fait partie de son rythme de vie et l’aide à avoir une meilleure concentration à l’école.

Les plus concentrés

Tous les usagers du gym n’ont pourtant pas la volonté de se faire remarquer. Certains préfèrent s’en tenir à leurs exercices, sans se préoccuper des autres utilisateurs. L’étudiant au certificat en entrepreneuriat à HEC William Tremblay et l’étudiante à la maîtrise en nutrition à l’UdeM Cynthia Marcotte se disaient concentrés sur leurs exercices. « Avant, j’étais vraiment maigre et ça me tracassait, dévoile William. J’ai pris beaucoup de poids grâce au gym. » Cynthia Marcotte, quant à elle, se moque éperdument du jugement des autres.

La crainte du jugement des autres peut représenter un obstacle à l’entraînement, face à des profils qui cherchent à se comparer et à se montrer. « Le regard des autres a été une de mes peurs avant de m’inscrire, peut-être de voir que je n’avais pas la même force », confie l’étudiant au baccalauréat en urbanisme à l’UdeM Benjamin Furtado. Il s’entraîne au CEPSUM en matinée et ne cherche pas à sociabiliser avec les gens. « Je n’essaie pas de m’y faire des amis », ajoute-t-il.

Beaucoup commencent à s’entraîner sous le coup de bonnes résolutions, pour ensuite abandonner rapidement. C’est d’ailleurs sur cette clientèle que comptent les gyms pour se rentabiliser selon M. Sercia. « C’est en janvier qu’il y a le plus de promotions dans les gyms de masses, explique-t-il. Je n’ai pas de statistique sur les taux de rétention, mais on pourrait faire l’hypothèse que la moitié des gens qui s’inscrivent en janvier, sous de bonnes résolutions après les fêtes, finissent par abandonner. » Si la tentation d’abdiquer est grande à l’approche de l’hiver, le gym reste un microcosme où tous les profils cohabitent et sont tolérés.