Volume 19

Pris dans la Toile

Vous ne mangez plus, à part votre écran des yeux ? Vous ne bougez plus, à part vos doigts sur un clavier ? La cyberdépendance vous guette peut-être. Louise Nadeau, professeure en psychologie à l’UdeM et directrice scientifique de l’Institut universitaire sur les dépendances, a dirigé un ouvrage collectif qui vient de paraître sur le sujet. État des lieux sur une nouvelle forme de toxicomanie.

Selon Louise Nadeau, être accro à l'écran reste encore un concept assez flou. Crédit pascal Dumont

Quartier Libre : Quels sont les signes d’une dépendance à Internet ?

Louise Nadeau : On parle de gens qui sont sur Internet de 70 à 90 heures par semaine pour passer le temps, et non pas pour le travail. Il ne s’agit pas d’un étudiant qui fait ses travaux ou qui, pendant son cours, consulte le Web. C’est quelqu’un qui ne mange plus, qui ne bouge plus ou qui est incapable d’arrêter d’aller sur Internet, qui ne peut pas se passer quelques jours de cet outil. Quand la vie est handicapée de manière conséquente, il faut sonner l’alarme. C’est actuellement la nouvelle pathologie à gérer après les troubles alimentaires, l’alcool et la drogue.

Q. L. : Y a-t-il des profils plus sensibles que d’autres à la cyberdépendance ?

L. N. : Nous avons trouvé que les cyberdépendants sont des gens introvertis, pas à l’aise avec les autres. C’est un profil différent de ceux des autres personnes dépendantes. Ceux qui sont accros à la drogue sont plutôt enclins à la délinquance, alors que les alcooliques sont très sociables et aiment boire en groupe. L’échantillon est encore trop petit pour voir une tendance en matière d’âge. Nous avons constaté en revanche une surreprésentation des personnes sans emploi.

Q. L. : Quelles sont les conséquences de cette dépendance à Internet ?

L. N. : Internet se trouve dans les maisons et peut être consulté tard le soir, ce qui génère des déficits de sommeil. Or le manque de sommeil a un impact énorme sur la concentration, l’énergie, l’humeur et la façon de résoudre des problèmes. L’écran d’ordinateur est plus agressif que celui de la télévision, car l’œil en est plus proche de l’écran. Cela influe sur la mélatonine, l’hormone qui régit le sommeil. Deux des vingt-cinq personnes qui font l’objet de notre étude ont dû être envoyées dans des centres ordinaires de traitement pour les toxicomanes afin de réapprendre une certaine hygiène de vie: se lever le matin à 7 heures, faire leur lit, s’habiller, manger trois repas par jour, commencer à socialiser dans un contexte encadré et se coucher à 21 heures.

Q. L. : Avez-vous des conseils pour éviter la cyberdépendance ?

L. N. : Il faut établir à quelle heure on ferme l’ordinateur le soir, une fois que l’on a fini ses travaux. On doit gérer notre temps d’écran, tout comme il faut gérer la quantité de nourriture ou encore d’alcool que l’on prend. Tout est une question de dosage et de contexte. Par exemple, on a fait une enquête avec nos étudiants de l’UdeM sur l’alcool. Il y en a 20 % entre 15 et 25ans qui boivent trop, mais ils vont arrêter de boire, comme je l’ai fait moi-même. Ce qui n’est pas sain, c’est qu’un père de famille de 40ans, qui doit s’occuper de ses enfants, fasse la fête chaque soir. Il faut se rendre responsable de sa propre personne.

Q. L. : Où en est-on dans les recherches ?

L. N. : Les recherches sur les dépendances à Internet sont moins nombreuses que celles sur l’alcool ou les autres drogues. L’ère numérique est beaucoup plus récente que l’usage de ses substances. Il est encore trop tôt pour dire si la cyberdépendance est une dépendance plus ou moins grave que les autres. Nous n’avons pas tenté de définir la cyberdépendance et ses caractéristiques à proprement parler. Notre document est anecdotique, il est destiné aux cliniciens et relate des cas cliniques. Nous avons étudié des personnes qui ont consulté parce que leur famille ou eux-mêmes jugeaient que leur utilisation d’Internet posait des problèmes majeurs et déterminants dans leur vie et qu’elles n’arrivaient pas à modifier leur conduite.

Q. L : Si vous avez produit ce document, c’est que vous considérez que la cyberdépendance peut prendre de l’ampleur ?

L. N. : Il est nécessaire de préparer des services pour aider les gens en raison de la numérisation grandissante de notre société. Il y a lieu de croire que certaines personnes vont développer ce qui s’apparente à une dépendance vis-à-vis d’Internet. Mais cela prend une enquête épidémiologique que l’on n’a pas. Dans l’étude, nous avons suivi vingt-cinq cas sur une période de trois mois. Les alcooliques, ça fait cent ans qu’on les suit. Nous avons reçu de l’argent de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, qui a jugé qu’il s’agissait d’un problème émergent. Nous avons fait ce document pour que les intervenants sachent quelles questions lorsqu’ils sont confrontés à de tels cas. On se contente de suggérer ce qui peut être fait pour un patient qui vient consulter à propos de sa dépendance au Web, puisque les recherches sur la cyberdépendance ne sont pas assez avancées pour permettre de se prononcer catégoriquement. En ce sens, il s’agit plutôt de recommandations, de pistes relatives aux personnes qui ont plus besoin d’aide que d’un guide proprement dit.

La cyberdépendance: état des connaissances, manifestations et pistes d’intervention, Louise Nadeau (dir.), Montréal,Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances, 76 p.

 

Vers qui se tourner pour se détourner de l’écran ?

Chaque région administrative du Québec comporte des réseaux qui s’occupent des nouvelles accoutumances comme la cyberdépendance, par exemple l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ACrDQ, www.acrdq.qc.ca/)

 

Partager cet article