Chercheurs de terrain : ne pas perdre le nord

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Par Miriane Demers-Lemay
lundi 10 octobre 2016
Chercheurs de terrain : ne pas perdre le nord
Les deux étudiants en géographie Gabriel Chiasson-Poirier et Louis-Gabriel Pouliot vérifient l’état de leurs instruments mesurant le débit de la rivière en crue. Crédit photo : Miriane Demers-Lemay.
Les deux étudiants en géographie Gabriel Chiasson-Poirier et Louis-Gabriel Pouliot vérifient l’état de leurs instruments mesurant le débit de la rivière en crue. Crédit photo : Miriane Demers-Lemay.
Chaque année, des étudiants et des chercheurs de l’UdeM se dirigent au nord du 49e parallèle pour faire avancer la recherche scientifique. Quartier Libre s’est rendu sur le terrain cet été, afin d’observer les défis colossaux et les enjeux complexes auxquels ils font face dans le Nord.
« Faire de la recherche en Arctique est… compliqué. » Daniel Fortier, Directeur du Laboratoire de géomorphologie et géotechnique des régions froides.

«Les précipitations ont atteint des niveaux records au cours des derniers jours, alors on fait une petite vérification des données », explique l’étudiant à la maîtrise en géographie de l’UdeM Gabriel Chiasson-Poirier. Tout au long de l’été, Gabriel et son collègue au baccalauréat en géographie Louis Gabriel Pouliot ont marché quotidiennement les six kilomètres séparant leur laboratoire situé à Iqaluit, capitale du Nunavut, de la station.

Comprendre les dynamiques d’eau souterraine et de surface dans cette région nordique : voilà le principal objectif de leurs projets de recherche. Leurs résultats permettront de connaître les fluctuations des réserves d’eau potable, et ainsi faciliter la gestion de l’eau par les communautés locales. Ils contribueront aussi à prédire les effets du dégel du pergélisol, le sol gelé à longueur d’année, sur les réserves d’eau douce de la région.

Gérer l’éloignement

Le contexte nordique, avec son éloignement géographique et ses différences culturelles, offre plusieurs défis pour les universitaires. L’isolement et le manque d’infrastructures de transport haussent le coût des déplacements et compliquent la logistique. « Faire de la recherche en Arctique est… compliqué », soupire le directeur du Laboratoire de géomorphologie et géotechnique des régions froides, Daniel Fortier. Pour se rendre sur la petite île où il effectue ses travaux de recherche, il doit prendre un avion commercial jusqu’à Resolute Bay puis louer un avion et un hélicoptère. Le chercheur doit aussi jongler avec les aléas du climat : en cas de brouillard, les avions ne peuvent pas décoller. « Comme on travaille en zone éloignée, on doit être formé en soins d’urgence, méthodes d’orientation et en communications », précise le chercheur. Le coût du logement et de la nourriture sur place est tout aussi exorbitant que celui des transports, d’après lui.

« Ça a été un défi d’avoir les installations que l’on souhaitait avec le peu d’argent disponible, raconte Louis Gabriel. Il a fallu être très imaginatifs dans notre préparation, mais aussi sur le terrain où nous avons dû apporter d’innombrables ajustements. » Le coût de la recherche est principalement couvert par des subventions provenant de programmes fédéraux, selon la doctorante en environnement à l’UdeM Gwyneth Anne Macmillan. Plusieurs étudiants et chercheurs universitaires québécois sont membres de centres de recherche, comme le Centre d’études nordiques et ArcticNet. Ces derniers facilitent l’obtention de subventions pour les chercheurs et fournissent un appui technique sur le terrain.

Des scientifiques et des Inuits

« Pour faire de la science dans le Nord, il faut être patient, avoir du respect, et savoir s’adapter », croit la doctorante en biologie à l’UdeM Catherine Girard. Au Nunavut, elle a observé que plusieurs communautés inuites ont le sentiment d’être des cobayes pour la science, après le passage de plusieurs scientifiques n’ayant jamais communiqué leurs résultats aux communautés. Malgré cela, la biologiste note un essor de la recherche participative, basée sur la collaboration entre les chercheurs et les communautés, et des programmes de surveillance communautaire, dans lesquels les données sont recueillies par les communautés.

« Apprendre à connaître le Nord, c’est être en contact avec la richesse d’une autre culture tout en demeurant dans son propre pays », témoigne Gwyneth. Si la crise des suicides attire l’attention médiatique, se rendre dans le Nord permet de démystifier les idées reçues, puisque la doctorante a côtoyé des communautés inuites qu’elle décrit comme joyeuses et solidaires. Pour l’étudiant à la maîtrise en anthropologie à l’UdeM Dominic Croteau-Deshaies, la recherche en collaboration avec les communautés peut permettre de remplacer une vision des régions polaires simpliste et stéréotypée par une représentation complexe et réelle du Nord.