Utiliser un nouveau prénom s’avère impossible pour les étudiants trans de l’UdeM. Pourtant, les universités Concordia et McGill autorisent déjà ce changement. À ce jour, les étudiants en transition du campus se heurtent à la rigidité administrative qui les expose à de l’intimidation et de la discrimination.
«Tout mon entourage se réfère à moi comme Caroline, explique l’étudiante au baccalauréat en histoire. Mais dans ma paperasse administrative, c’est encore mon prénom de naissance qui est utilisé.» L’auteure des lettres d’opinion parues dans les numéros 11 et 12 de Quartier Libre, Caroline Trottier-Gascon, a entrepris les démarches légales pour changer de sexe l’automne dernier. En attendant les longs délais au civil, elle a fait une demande auprès du registrariat, puis de l’ombudsman, pour que son nom usuel soit inscrit dans les informations de l’Université. Mais ses démarches n’ont pas porté fruit: les informations apparaissant sur sa carte étudiante, son adresse courriel officielle et la liste des présences des professeurs portent toujours son prénom masculin.
Interpellé par les lettres de Caroline, le porte-parole de l’UdeM, Mathieu Filion, affirme que le vice-rectorat aux affaires étudiantes étudiera les questions soulevées dans celles-ci et que des changements pourraient avoir lieu prochainement. «L’Université n’avait jamais reçu de demande dans ce sens-là dans le passé», justifie- t-il. Il explique que le campus respecte les normes légales établies par le gouvernement en matière de changement de nom.
Pas seule
Pourtant, l’étudiante en informatique Olivia* a connu les mêmes problèmes à son arrivée, en 2012. Après s’être informée auprès du Service aux étudiants (SAÉ), du Centre de santé et de consultation psychologique (CSCP) ainsi que du Bureau pour étudiants en situation de handicap (BEH) pour voir si des accommodements étaient possibles, Olivia a dû se résigner. «On m’a envoyée d’une place à l’autre, mais personne ne savait quoi me répondre », assure l’étudiante.
L’étudiant au baccalauréat en histoire Sébastien* s’est rendu compte qu’il était un homme lors de sa première année à l’Université, en 2012. L’été dernier, il tente en vain de changer son prénom sur le système informatique Synchro. Après avoir joint le gestionnaire du site, il est redirigé au registraire, qui l’envoie à l’ombudsman. «L’ombudsman m’a simplement indiqué que c’était trop compliqué pour le système informatique», soutient l’étudiant. Il explique que ces détails administratifs sont handicapants dans ses interactions sociales. «Quand les gens m’appellent avec mon nom de fille, ça me fait mal, ça revient à nier mon identité», soutient-t-il.
Pour le spécialiste des droits des trans et doctorant au Département de droit de l’UdeM, Jean-Sébastien Sauvé, la procédure de l’Université est questionnable du point de vue de la Charte des droits et des libertés, car elle porte atteinte au droit à la vie privée. À sa connaissance, aucune loi n’exige des universités que le nom légal apparaisse sur les documents non officiels. «C’est laissé à la discrétion des universités», souligne-t-il. M. Sauvé explique le choix de l’UdeM de garder les informations en provenance de l’état civil par l’inconfort que suscite la transidentité. «Les personnes trans défient le système hétéro normatif dans lequel nous vivons, et ça occasionne certains inconforts», résume le doctorant.
Manque de formation
Les trans de l’UdeM déplorent le peu de sensibilisation dont fait preuve l’Université à l’égard de son personnel. Muni de deux recommandations de psychologues, Sébastien s’est rendu à la clinique de l’UdeM pour faire une prise de sang, un prérequis pour commencer l’hormonothérapie. Mais la clinique a tout simplement refusé de procéder au prélèvement sanguin. «Le personnel ne comprenait vraiment pas la réalité trans», regrette Sébastien.
L’utilisation des toilettes et des vestiaires représente également un obstacle dans la vie de ces étudiants qui ne se sentent à l’aise dans aucun des deux lieux. « C’est vraiment pas l’fun parce que dans la toilette des filles, tu te fais regarder, et dans la toilette des gars c’est un peu épeurant, confie l’étudiant. J’ai toujours peur de me faire découvrir et de susciter des réactions violentes. » Quant à Olivia, elle s’est résignée à n’utiliser ni les toilettes ni les vestiaires de l’Université. Résidant à côté de l’Université, elle préfère aller chez elle.
«Il faut sensibiliser la communauté étudiante à notre réalité, déclare l’étudiante en histoire. Je suis la même personne aujourd’hui même si je me présente en femme. Je suis juste plus heureuse. » Caroline a fondé le Groupe d’action trans à l’UdeM dans le but d’accélérer les changements et d’aider les autres étudiants dans leur transition.
* Le nom des étudiants a été modifié pour respecter leur anonymat
Lexique
Trans: toute personne dont l’identité de genre ne correspond pas à celle assignée à la naissance, incluant les personnes transgenres, transsexuelles et genderqueer.
Nom légal : nom assigné à la naissance
Nom préféré: nom usuel qui reflète l’identité et qui concorde avec l’expression de genre de la personne.
Hormonothérapie ou traitement hormonal substitutif (THS): dose d’hormones (testostérones ou œstrogènes) que s’injecte la personne transsexuelle pour faire apparaître les caractères sexuels secondaires du genre désiré.
CHANGEMENT DE NOM : QUE DIT LA LOI ?
Pour obtenir un changement de mention de sexe au Québec, une personne transexuelle doit publier son changement de nom ainsi que son adresse dans la gazette officielle du Québec. De plus, elle doit obligatoirement subir une intervention chirurgicale (hystérectomie complète ou une vaginoplastie). Contraires aux principes de la Charte des droits et libertés, ces conditions ne seront plus des exigences avec le projet de loi 35 au Québec, qui devrait entrer en vigueur cette année. Une modification législative prévoit que les personnes trans n’auront plus à subir de chirurgie afin d’obtenir un changement de mention de sexe à l’état civil. Plusieurs attendent que l’entrée en vigueur soit effective avant de pouvoir lancer le changement légal de nom.
Concordia
Depuis 2012, il est possible de changer son nom légal par son nom usuel à l’Université Concordia. Il suffit d’en faire la demande auprès du registraire et de remplir un formulaire. «C’est une démarche facile à entreprendre, explique la coordonnatrice au Centre de luttes contre l’oppression des genres de l’Université Concordia, Julie Michaud. Ça aide beaucoup les étudiants. Ils n’ont pas à être appelés dans la classe par leur nom légal.» Ainsi, personne n’a accès à l’ancienne identité de l’étudiant, car même la carte étudiante est à jour. Toutefois, le nom légal demeure sur les papiers officiels tels que le diplôme, à moins que celui-ci ne soit changé par l’étudiant au registre de l’état civil. Le site internet du Centre propose également une liste de toilettes neutres accessibles sur le campus.
McGill
Le processus est aussi facile à l’Université McGill. Depuis l’été 2013, il suffit d’inscrire son prénom usuel en ligne sur la plateforme Minerva – l’équivalent de Synchro – afin qu’il soit utilisé sur la carte étudiante de McGill, sur les listes de présence ainsi que sur les relevés de notes du Bureau d’orientation. Toutefois, il ne figurera pas sur les relevés de notes officiels, les factures électroniques de droits de scolarité, les diplômes et les certificats, les rapports au gouvernement ou les attestations officielles d’études et de diplômes.
UQAM
À ce jour, l’UQAM n’a jamais reçu de plaintes ou de demande de changement de nom de la part d’un étudiant trans. Tout comme l’UdeM, l’UQAM ne procède pas à la modification du nom de l’étudiant tant que les documents officiels du gouvernement ne prouvent pas que le changement a été effectué. Il est donc impossible pour un trans de voir son nom préféré inscrit sur ses documents universitaires. Dans cet établissement, quelques toilettes mixtes existent sur le campus