L’Université McGill, celle qui prend souvent la tête des palmarès comme «meilleure université canadienne », se démarque aussi par sa capacité à attirer de généreux donateurs. Comme sur bien des plans, McGill fait figure d’exception en matière de financement philanthropique.
En octobre 2007, la rectrice et vice-chancelière de McGill, Heather Munroe-Blum, a inauguré en grandes pompes une campagne de financement d’une envergure sans précédent. La Campagne de financement McGill vise à ramasser 750 M$ en cinq ans, ce qui représentait au moment du lancement « la cible initiale la plus ambitieuse pour une campagne de financement universitaire», selon la rectrice. À deux ans de la date butoir, 570 M$ ont été empochés, soit 76 % de l’objectif final.
À titre de comparaison, la Campagne Un monde de projets, lancée en partenariat par l ’ U d e M , H E C M o n t r é a l e t l ’ É c o l e Polytechnique en 1999, avait réussi à recueillir 218 M$ à son terme en 2003, dépassant son objectif de 125 M$. Pour sa part, la Fondation de l’UQAM a récolté 140 M$ sur une période de… 30 ans !
L’Université inc.
Qui sont ces généreux mécènes qui sont prêts à sortir leur chéquier pour soutenir la cause des universités ? « La majorité est formée d’anciens étudiants qui sont fiers de leur éducation», affirme Derek Cassoff du bureau de Développement et relations avec les diplômés de McGill. Les diplômés ont contribué à la campagne dans une proportion de 55 %, contre 25 % pour les autres individus et 20 % pour les entreprises. «McGill est une marque forte, ajoute M. Cassoff, et quand on sollicite des dons, tout le monde veut investir dans une marque gagnante, qui marche.»
Au-delà de la fierté, les donateurs y trouvent aussi leur intérêt : « C’est un moyen de contourner l’impôt », indique Gilles Gagné, professeur de sociologie à l’Université Laval. «Les entreprises ou les individus fortunés peuvent contourner le gouvernement, qui se retrouve alors appauvri et perd sa capacité à financer les universités sans restrictions », poursuit-il. «Et de l’autre côté, ils vont redonner cet argent là où il serait allé, dans une institution publique, mais en ayant l’avantage de dicter ce à quoi il servira.»
Les petits donateurs peuvent en effet choisir de diriger très précisément leur contribution vers l’un des nombreux programmes préexistants du fonds annuel, alors que les dons de plus grande envergure font l’objet d’un contrat spécifique entre le contributeur et l’université. «Lorsque les gens donnent, ils préfèrent choisir là où leur argent sera investi», reconnaît M. Cassoff. Parmi les grands donateurs, plusieurs sont d’anciens diplômés qui ont fait fortune dans le domaine de la finance, des technologies et de l’énergie. L’entreprise publique Hydro-Québec figure également dans le haut de la liste, avec un don de 10 M$ sur 10 ans destiné à financer la recherche de pointe dans le secteur de l’énergie. [voir encadré]
Cette générosité n’est pas sans soulever des enjeux éthiques, comme en témoigne la controverse qu’a soulevée le don de la compagnie minière Osisko remis à McGill en décembre dernier. La contribution de 4,1M$, sous la forme d’actions de la compagnie, est destinée à la recherche en géologie minière dans l’objectif « d’assurer l’avenir de notre industrie », selon son vice-président directeur, Robert Wares. L’éthique de la transaction a toutefois été remise en question lorsque les pratiques environnementales et sociales d’Osisko, qui exploite un gisement aurifère dans le village de Malartic en Abitibi, ont été dénoncées publiquement par des citoyens. Toutefois, pour McGill, «rien ne contre-indiquait l’acceptation du don».
Une panacée au sous-financement ?
La rectrice de l’Université McGill, comme ses homologues québécois, plaide activement pour accroître le financement du réseau universitaire de la province. Or, dans un contexte d’austérité budgétaire au gouvernement et de dissension sociale sur la hausse des droits de scolarité, la philanthropie apparaît comme une troisième voie attirante pour combler le déficit budgétaire de l’université.
«La philanthropie, c’est le seul moyen de financement que l’on contrôle, soutient Derek Cassoff, alors que nos deux autres sources de financement principales, les subventions gouvernementales et les droits de scolarité, sont hors de notre contrôle.»
Loin d’être un colmatage ponctuel du déficit, la philanthropie s’inscrit dans la stratégie de financement à long terme pour l’université. Après la fin de son ambitieuse campagne en 2012, McGill souhaite «créer une véritable culture de la philanthropie, explique M. Cassoff, afin de continuer à recueillir des dons à hauteur de 100 M$ chaque année.» Ce montant représente environ 15 % du budget annuel de fonctionnement de l’université. « Il y a un effet “poudre aux yeux” làdedans », observe toutefois M. Gagné. «D’un côté, le privé finance à hauteur de quelques millions et devient le bienfaiteur de l’humanité, avec son nom partout, remarque le professeur de l’Université Laval, alors que de l’autre côté, le public finance la grande majorité, mais je n’ai pas encore vu un pavillon de HEC Montréal avec le nom des contribuables sur un mur des généreux donateurs !»
Les étudiants divisés
Comme sur bien des questions, point de consensus chez les étudiants sur le financement philanthropique. « Il faut faire attention, car le financement privé est en train de changer la mission de nos universités : elles doivent rester au service de la collectivité, pas des entreprises », met en garde Gabriel Nadeau-Dubois de l’ASSÉ, un syndicat étudiant de gauche. Autre son de cloche du côté de la FEUQ, où le président
Louis-Philippe Savoie estime qu’« on devrait encourager davantage la philanthropie, car elle permet de financer le réseau sans hausser les contributions étudiantes, surtout qu’il existe déjà des mesures pour éviter les dérapages ». Au bureau de la ministre de l’Éducation Line Beauchamp, on s’abstient de prendre position : «On attend de voir quel consensus émergera dans le milieu », conclut l’attaché de presse Dave Leclerc.
Quelques dons
Fondation de la famille J.W. McConnell • Fondation philanthropique privée • 20 M$ • 13 M$ pour des fonds de dotation destinés à répondre aux besoins des étudiants, 7 M$ pour la création de quatre chaires de recherche, dont deux sur la société civile
Petro-Canada • 1 M$ • Bourses de premier cycle en génie, sciences et gestion
État du Koweït • 350000 $• Bourses aux étudiants de l’Institut d’études islamiques
Hydro-Québec • 10 M$sur 10 ans • 5,5 M$ pour la création de trois chaires industrielles dans le domaine de l’énergie et 4,5 M$ pour des bourses d’études en génie, science et droit
Groupe Financier Banque TD • 1 M$ • TD Fund for Leadership à la Faculté de gestion, qui supporte la création de deux séminaires de leadership
Richard Walls • Président de Fairborne Energy Ltd., une compagnie d’exploration et d’exploitation pétrolière et gazière • 1M$• Bourses d’études scientifiques destinées aux étudiants provenant de l’Ouest canadien
Osisko Ltd et Robert Wares • Corporation minière • 4,1 M$ sous forme d’actions de la compagnie • Support financier aux étudiants et aux chercheurs juniors du Département des sciences de la terre
Rio Tinto Alcan • Géant de l’aluminium • 3 M$ • Chaire de recherche en arbitrage international et droit commercial international à la Faculté de droit
John McCall MacBain • Entrepreneur, Fondateur de la Trader Classified Media • 5 M$ • Bourses d’études supérieures en lettres, sciences humaines et sciences sociales
Les Vadasz • Membre de l’équipe fondatrice d’Intel Corporation (technologies informatiques, microprocesseurs) • 8 M$ • Bourses de doctorat en génie
En chiffre :
Université McGill
Nombre d’étudiants : 29 000
Dépenses de fonctionnement prévues 2010-2011 : 648 M$
Déficit annuel prévu 2010-2011 : 9,2 M$
Déficit accumulé : 92 $
Université de Montréal
Nombre d’étudiants : 40000 (excluant HEC Montréal et l’École Polytechnique)
Dépenses de fonctionnement prévues 2010-2011: 634 M$
Déficit annuel prévu 2010-2011 : 4 M$
Déficit accumulé : 146 M$