Volume 21

Illustration: Mélaine Joly

Liaisons dangereuses en médecine

Une étude révèle que la Faculté de médecine de l’UdeM parvient le moins bien, parmi les universités francophones canadiennes, à éviter les conflits d’intérêts avec les entreprises pharmaceutiques. L’Université se défend pourtant d’avoir une politique satisfaisante.

 L’UdeM affirme avoir depuis plusieurs années une politique pour contrer les conflits d’intérêts. «Elle était en refonte quand les chercheurs nous ont contactés en 2011», se défend la doyenne de la Faculté de médecine de l’UdeM, la Dre Hélène Boisjoly.

L’étude analyse les politiques pour limiter les intérêts commerciaux des industries pharmaceutiques dans les facultés de médecine et leurs lacunes. Effectuée par cinq chercheurs de différentes universités canadiennes et néo-zélandaises, cette étude est la première réalisée auprès de toutes les facultés de médecine au Canada. Sur les 17 facultés canadiennes, l’UdeM se classe en queue de peloton avec une 14e position.

La Dre Hélène Boisjoly mentionne que la Faculté avait demandé aux auteurs de communiquer avec elle pour avoir la version finale, ce qu’ils n’ont pas fait, selon elle. Elle affirme que la politique actuelle de l’UdeM, en place depuis deux ans, est plus sévère que l’ancienne. «Nous sommes un leader plutôt qu’à la traîne, assure la doyenne. Là où nous avons du travail à faire, c’est dans l’application et le suivi.» Professeure adjointe à l’école de santé publique de l’Université de Colombie-Britannique et coauteure de l’étude, Barbara Mintzes, jure qu’ils avaient une méthode pour avoir les politiques les plus récentes. «D’abord, nous avons contacté toutes les facultés de médecine, puis nous avons regardé sur les sites internet pour trouver leurs politiques, explique-t-elle. Nous leur avons envoyé ce que nous avions trouvé en leur demandant s’il y avait autre chose. Quand nous avons fini l’analyse, nous avons recontacté les facultés pour être sûrs que nous avions bien ce qui était en place.»

 

Conflits d’intérêts à l’UdeM

La politique actuelle de l’UdeM vise à empêcher les repas payés par l’industrie lors d’activités, les cadeaux donnés par les firmes pharmaceutiques et l’affichage de panneaux publicitaires à l’entrée des conférences. «C’est trop peu», tranche Barbara Minztes. Selon elle, il faudrait également que certaines relations financières soient interdites, avec des étapes pour que ce soit respecté. « Interdire des panneaux publicitaires n’est pas suffisant. Si c’est une conférence pour la formation des étudiants, ça devrait être indépendant de l’industrie, expose-t-elle. Si le conférencier est payé par un laboratoire qui a des produits à vendre, c’est le laboratoire qui gère le message.»

La professeure accuse les entreprises pharmaceutiques de payer des professeurs pour faire des présentations. Elle dénonce également l’influence de commanditaires privés dans les contrats de recherche des universités. Mme Mintzes dénonce aussi le ghostwriting, un procédé par lequel un chercheur se fait payer par une entreprise pour mettre son nom en bas d’un article. «Ces mécanismes font partie des stratégies de marketing des compagnies pharmaceutiques », affirme-t-elle. Du côté de l’UdeM, on préfère se concentrer sur l’application de la politique avant de penser à un resserrement. À ce jour, la doyenne mentionne qu’une équipe chargée de l’éthique lui présente des rapports. La faculté offre aussi un séminaire obligatoire pour conscientiser les étudiants aux effets du marketing pharmaceutique. Les professeurs doivent également remplir une déclaration de conflits d’intérêts à leur entrée à l’Université, et la renouveler à tous les ans.

 

L’AEEMUM pas concernée

Les étudiants en médecine n’ont pas participé à la refonte de la politique de la Faculté. D’ailleurs, l’association n’a pas pris position sur la politique contre les conflits d’intérêts de la Faculté de médecine de l’UdeM. « À l’interne, on suit des règles strictes depuis l’existence de l’association », mentionne le président de l’Association des étudiantes et étudiants en médecine de l’UdeM (AEEMUM), Louis-Philippe Thibault. Selon lui, leur charte constitue un rempart suffisant. Le président assure que son association fait tout pour que les compagnies pharmaceutiques n’influencent pas le traitement des patients, par exemple par le choix du médicament prescrit par le futur médecin. Leur politique vise à contrer les partenariats qui iraient en ce sens. «Nous avons un responsable des partenariats dans l’association, dont la tâche est uniquement axée sur cela », expose Louis-Philippe Thibault. 

L’AEEMUM s’assure que ses commanditaires ne donnent pas l’apparence de conflits d’intérêts, tant pour ce qui est de l’association que des activités qu’elle organise. « On accumule moins d’argent à cause de cela, évidemment, comparé par exemple à la faculté de pharmacie, souligne le président de l’AEEMUM. On est plus strict là-dessus, alors on court un peu plus après nos contributions, mais on s’assure toujours que c’est propre. » Pour lui, les firmes pharmaceutiques ont déjà tenté de passer par l’association pour donner aux étudiants en médecine des échantillons ou des instruments médicaux commandités, ce que l’association a refusé de faire. Barbara Mintzes dit que les auteurs de l’étude n’ont pas analysé les politiques des associations étudiantes. « Ça, ce serait pour une autre recherche», dit-elle.

L’étude a étonné Louis-Philippe Thibault. «C’est mon opinion personnelle en tant qu’étudiant en médecine, mais pendant mon cursus je n’ai jamais eu le sentiment qu’il y avait des conflits d’intérêts. Si les conclusions disent qu’il y en a, il faudrait voir», révèle-t-il. Le président de l’AEEMUM dit ne pas avoir eu vent de plaintes ou de commentaires d’étudiants en médecine concernant des situations de conflits d’intérêts.  

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