«Lors des premières fouilles à Shum Laka, dans les années 1990, les techniques étaient moins avancées », affirme la professeure au Département d’anthropologie de l’UdeM Isabelle Ribot. Le nouveau laboratoire de numérisation du département, ouvert en novembre dernier, lui a permis ainsi qu’à ses collègues d’analyser les restes humains de plusieurs individus inhumés à Shum Laka il y a 8 000 et 3 000 ans.
Les installations ont pu voir le jour grâce à une bourse de 50 000 $ accordée par l’Université pour des projets d’innovation en technologie numérique.
Laboratoire de numérisation
Sous la direction de Mme Ribot, l’étudiante à la maîtrise en anthropologie à l’UdeM Yassmine Ghalem est responsable de modéliser les individus de Shum Laka. « J’applique la morphométrie, soit l’étude géométrique des objets, à partir des modèles 3D des ossements de Shum Laka. Ça permet de les comparer avec des individus plus modernes et pour voir s’il y a eu une évolution morphologique, explique-t-elle. Les modèles 3D nous permettent plus de manipulations, puisqu’on n’agit pas directement sur les individus. » Yassmine se concentre particulièrement sur l’analyse des crânes et des dents.
L’étudiante souligne que le laboratoire de l’UdeM se spécialise en photogrammétrie, une technique de reconstruction numérique qui consiste à créer les modèles 3D à partir de photos d’un site archéologique ou de collections ostéologiques. « C’est plutôt récent au Québec, alors qu’ailleurs en Europe, c’est plus répandu », précise-t-elle.
Grâce à ces technologies, Yassmine peut poursuivre ses recherches à Montréal, bien que les collections soient entreposées à Bruxelles.
Le laboratoire permet également de compiler les données biologiques afin d’observer une variation dans le temps. L’un des récents résultats obtenus induit que les descendants de la langue bantoue* actuelle ne seraient pas liés aux individus de Shum Laka.
Une démarche éthique
L’étudiante au doctorat en anthropologie Diane Martin-Moya a participé à la mise en place du laboratoire. « Ce lieu permet d’ouvrir un axe de recherche pour améliorer la manière dont on étudie les restes archéologiques, les restes humains et potentiellement les collections ethnographiques », détaille-t-elle.
Diane souligne également que le laboratoire pourrait avoir un effet positif sur les communautés visées par les fouilles. « Créer une copie conforme permet de rapatrier plus rapidement les objets d’études dans les communautés où ces derniers ont été prélevés », affirme-t-elle. L’étudiante collabore avec des chercheurs de Bruxelles au processus de rapatriement vers le Cameroun des collections de Shum Laka. Selon Mme Ribot, la numérisation des restes humains contribue à la recherche, mais fait aussi partie d’une démarche éthique.
Une étude de la génétique
Une étude dirigée par la Harvard Medical School, à laquelle a participé Isabelle Ribot, a été publiée dans la revue Nature le 22 janvier dernier.
L’Afrique est considérée par les experts comme le point d’origine de l’Homo sapiens, et présente une diversité génétique unique au monde, selon Mme Rigot. Le climat représente toutefois un défi de taille pour les scienti- fiques, qui peinent à trouver des traces d’ADN en bon état.
L’ADN prélevé sur le site camerounais de Shum Laka est le pre- mier à être analysé en Afrique de l’Ouest et l’un des plus anciens provenant de l’Afrique subsaharienne. «Le site de Shum Laka est exceptionnel, puisque les restes humains de 18 individus sont très bien conservés pour une région tropicale, et ils témoignent d’une période de transition entre l’Âge de pierre et celui du fer, explique Mme Ribot. Aujourd’hui, on retourne sur ce site avec de nouvelles méthodes comme des analyses génétiques et chimiques, afin d’essayer de comprendre le régime alimentaire des individus et la mobilité de ces groupes. »
Les analyses génétiques révèlent que les individus de Shum Laka appartenaient à une population distincte de celle qui peuple la région aujourd’hui. «Ces découvertes sont surprenantes, puisque les individus ont peu d’affinités avec les populations actuelles de langue bantoue, précise Mme Ribot. Ils appartiennent donc à une diversité passée et éteinte, inconnue jusqu’ici. »
L’étude est le fruit d’une collaboration internationale entre généticiens, archéologues et bioanthropologues. « Ces découvertes permettent de mieux comprendre comment les lignées humaines se sont différenciées au fil du temps, affirme la professeure. Avec Shum Laka, on se rend compte que les lignées de chasseurs-cueilleurs d’Afrique de l’Ouest se sont différenciées il y a plus de 200 000 ans. »
*La famille des langues bantoues compte de près de 400 langues parlées par plus d’un tiers des Africains dans une vingtaine de pays, dont le Cameroun.