L’enseignant et directeur du Centre international de criminologie comparée à l’UdeM, M. Serge Brochu, assure que les cours qu’il donne à l’Université ne connaîtront qu’un léger ajustement une fois la loi passée et se réjouit d’avance que les études scientifiques aient une marge de manœuvre beaucoup plus large, sur les plans tant médical que social ou politique. « Le produit étant légal, il sera plus facile de réaliser des études sur le produit, sans demander une permission au gouvernement fédéral », se réjouit-il.
Pour le chercheur, la légalisation et l’ouverture du discours sur le sujet inciteront la réalisation de nouvelles études permettant de mieux connaître et de mieux comprendre le cannabis et tout ce qui l’entoure. Des sujets comme le niveau de THC toléré au volant d’une voiture ou les enjeux autour de l’autonomie provinciale pourront être abordés. De plus, des études comparatives de différentes politiques mises en place, entre autres en criminologie, pourront être entreprises, sans compter que la légalisation du cannabis ouvrira le dialogue sur le contrôle d’autres drogues, souligne M. Brochu.
Prohibition dysfonctionnelle
Selon les experts interrogés, la prohibition actuelle ne fonctionnant pas, la légalisation du cannabis en devient logique, voire souhaitable. Il est toutefois primordial de bien la préparer et de s’assurer qu’un marché noir ne subsiste pas ou que la consommation n’augmente pas. L’âge légal autorisé par la loi, le prix fixé, l’accessibilité et la prévention sont les principaux critères jugés sensibles à ce sujet.
Les détracteurs condamnant la mise en pratique d’une légalisation utilisent souvent l’argument de la criminalité, soutenant que cela ne ferait qu’empirer ou accentuer le trafic de drogues dures, voire le trafic d’armes, une thèse réfutée par Serge Brochu. « Il est certain que le marché criminel va vouloir continuer à faire de grands profits, comme c’est le cas actuellement avec le cannabis, note-t-il. Il y a une probabilité qu’ils cherchent d’autres marchés, que ce soit d’autres drogues ou d’autres activités, mais il se peut également qu’ils s’insèrent dans le marché licite, comme on a vu aux États-Unis après la fin de la prohibition. » En 1933, avec la légalisation de l’alcool aux États-Unis, une partie des contrebandiers s’est efforcée de trouver de nouvelles activités illégales, mais plusieurs d’entres eux se sont simplement recyclés dans la vente licite d’alcool.
Par ailleurs, le directeur de la revue Drogues, santé et société et professeur agrégé en psychoéducation à l’UdeM, Jean-Sébastien Fallu, insiste sur le fait que la légalisation du cannabis ne risque pas de créer une escalade de la violence dans le marché noir canadien. Au Canada, la violence liée au trafic de drogues ne dépasse souvent pas le seuil de la menace et est déjà bien moins présente qu’aux États-Unis. « Même si les changements sont encore récents dans certains pays où la légalisation est passée, ces scénarios catastrophes ne se sont pas avérés, souligne le spécialiste, qui rappelle que tout est question de mesure. D’un côté, un système de légalisation trop extrême vers un libre marché augmenterait potentiellement la consommation, ce que l’on ne souhaite pas. Mais, si la loi était trop stricte en rendant le cannabis inaccessible, trop cher ou avec un TCH contrôlé à un taux très faible, il est clair que le crime organisé maintiendrait un important marché. » Pour les chercheurs, ce point d’équilibre représente tout le défi du gouvernement Trudeau afin de faire passer sa loi : enrayer le marché noir, mais garder un produit satisfaisant pour les clients.
Certains demeurent toutefois sceptiques quant à l’effet que la légalisation pourrait réellement avoir sur le marché noir. « Le gouvernement a finalement compris qu’il perd beaucoup d’argent et que le cannabis est une source de revenu importante qui lui glisse entre les mains, remarque l’étudiant au baccalauréat en criminologie à l’UdeM Michaël Massé. Mais le marché noir restera toujours présent, surtout si c’est moins cher de s’y procurer du cannabis que légalement. »
L’âge légal
Une idée de solution souvent véhiculée serait de mettre l’âge légal de consommation à 25 ans, une thèse non soutenue par M. Fallu. « Ce serait à la fois irresponsable, simpliste et incohérent, affirme-t-il. Incohérent parce que l’alcool est légal à 18 ans au Québec et simpliste parce que, comme je m’en étonne toujours, le débat se limite à des aspects médicaux, comme si on légalisait le cannabis parce qu’il est bon pour la santé. Ce n’est pas le cas, mais la prohibition demeure encore plus mauvaise. »
Avec un âge légal fixé à 25 ans, le marché noir persisterait et la légalisation deviendrait inutile. Serge Brochu confirme cette idée tout en la nuançant, car il considère que les provinces devraient demeurer libres de déterminer l’âge légal, dans un souci de cohérence avec leurs règles, citant en exemple l’Ontario qui fixe à 19 ans l’âge de consommation d’alcool.