L’UdeM a comptabilisé, l’automne dernier, dix allégations d’intoxication au GHB, ou «drogue du viol ». Le professeur à l’École de psychoéducation de l’UdeM Jean-Sébastien Fallu, est également président du Groupe de recherche en intervention psychosociale (GRIP). Cette organisation incite les jeunes à adopter une attitude responsable quant à la consommation de drogues. M. Fallu démystifie les dangers liés aux drogues du viol.
Quartier Libre: Êtes-vous préoccupé par l’augmentation des signalements d’intoxication au GHB l’automne dernier sur le campus ?
Jean-Sébastien Fallu: Il faut rester à l’affût et sensibiliser les étudiants. Les agressions au GHB sont probablement sous-estimées statistiquement. Mais une chose est sûre : cette situation ne touche pas seulement l’UdeM. C’est un phénomène répandu dans la société et il serait surprenant qu’il ne se rencontre pas ici.
C’est une erreur que de focaliser sur le GHB et de l’appeler «la drogue du viol», car plusieurs drogues du viol existent. En fait, le GHB est peu utilisé lors des agressions. La principale drogue du viol reste l’alcool. D’autres drogues sont beaucoup plus efficaces aux yeux des agresseurs. Le Rohypnol (utilisé dans le film Hangover) est un puissant tranquillisant qui est à l’origine de l’appellation «drogue du viol». On retrouve également divers tranquillisants comme le valium ou la kétamine.
Q. L. : Quel est votre avis sur la façon dont l’UdeM gère cette situation?
J.-S. F. : Dans les universités en général, la drogue est encore un sujet tabou. Pourtant, l’Association médicale canadienne (AMC) a demandé aux universités d’en parler davantage. Le problème est très vaste. On parle d’utilisation d’alcool et de drogues illicites, mais aussi de drogues pour améliorer la réussite aux examens, par exemple.
Cette augmentation des allégations d’intoxication à l’UdeM est donc une excellente occasion de mettre l’accent sur la sensibilisation. Les étudiants sont très exposés aux substances illicites, car la vie universitaire se résume en grande partie à socialiser, à faire la fête et à vivre de nouvelles expériences.
Des associations étudiantes envoient parfois elles-mêmes des messages qui cautionnent la surconsommation d’alcool. Je pense notamment à l’expression « 4 à scrap » sur des affiches de l’Association des étudiants en communication de l’UdeM. Selon moi, c’est un excellent exemple de message qui banalise et encourage la beuverie. Je m’en étais d’ailleurs plaint à l’association par le passé, mais le même slogan a été réaffiché récemment.
Q. L. : Que pensez-vous des campagnes de sensibilisation réalisées jusqu’à maintenant à l’UdeM?
J.-S. F. : Elles souffrent d’un symptôme qui touche aussi les autres universités : les professeurs spécialisés sont trop peu sollicités. Je suis le spécialiste au Québec en ce qui a trait à la prévention du GHB. Pour la dernière campagne d’affichage, j’aurais sûrement pu donner mon avis, mais personne ne me l’a demandé.
Cette campagne (dont le slogan est «surveille ton verre») est une excellente initiative. Par contre, elle détourne l’attention du fait que la plupart du temps, les agressions ont pour origine une consommation volontaire de drogue ou d’alcool. De plus, les affiches parlent de la drogue du viol au singulier, comme s’il ne s’agissait que du GHB.
Q. L. : Comment les agresseurs utilisent-ils les drogues du viol ?
J.-S. F. : Les drogues du viol, comme le GHB, sont avant tout offertes par les agresseurs aux victimes qui vont les consommer volontairement. Par exemple, un homme va dire : « Tiens, prend ça, c’est le fun. » Parfois, la drogue peut agir très vite. D’autres fois, la fille, qui accepte la drogue, ne va réaliser que le lendemain qu’elle a eu une relation sexuelle qu’elle n’aurait pas souhaitée normalement. Est-ce un viol ? C’est très difficile à prouver.
J’insiste sur la prévention. Ne prenez pas n’importe quoi de n’importe qui. Demandez à vos amis de vous surveiller. Dites-leur ce que vous avez consommé, et avertissez-les si vous vous sentez plus intoxiqué qu’à l’habitude, ou si quelqu’un dans le bar ne veut pas vous laisser tranquille. Et n’oubliez pas que, dans la majorité des cas d’agression par intoxication, c’est l’abus d’alcool qui est en cause.
Q. L. : Lors d’une soirée, comment peut-on détecter que l’on a été intoxiqué avant qu’il ne soit trop tard?
J.-S. F. : Une personne intoxiquée va sentir des effets d’ivresse, mais beaucoup plus rapidement que si elle avait consommé de l’alcool, et de façon disproportionnée. Ce n’est évidemment pas une science exacte. Le même verre d’alcool aura un effet plus prononcé si la personne est fatiguée ou si elle n’a pas mangé. Mais, si l’étudiant connaît bien sa réaction à l’alcool, et s’il a l’impression que l’effet est plus fort qu’en temps normal, alors il peut avoir des soupçons. Dans ce cas, il est très important d’avertir tout de suite la sécurité ou un ami, car les drogues peuvent commencer à agir en 10 ou 15 minutes.
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Qu’est-ce que le Ghb ?
Le Ghb, ou acide gamma hydro butyrique, est une drogue subtile aux effets très semblables à ceux de l’alcool: perte d’inhibition, relâchement musculaire, engourdissement et confusion. Quelqu’un peut perdre la mémoire s’il en consomme trop ou s’il la combine avec de l’alcool. «Souvent, les victimes de viols reliés au GHB se souviennent des faits et vont se remémorer des images le lendemain», explique le président du Groupe de recherche en intervention psychosociale (Grip), Jean-Sébastien Fallu.
Dans la grande majorité des cas, le Ghb est consommé de façon récréative. Beaucoup de personnes le substituent à l’alcool, car il coûte moins cher et il agit plus rapidement. cependant, c’est une drogue très sournoise, car une dose un peu trop forte peut provoquer un endormissement complet. «On a déjà vu des groupes entiers d’amis perdre connaissance dans un bar parce qu’ils avaient pris trop de GHB», raconte M. Fallu.
Selon lui, le Ghb acheté dans la rue est souvent du GLb, ou gammabutyrolactone, un solvant très toxique qui fait partie des ingrédients du Ghb et qui est offert en quincaillerie. ainsi, un revendeur peut facilement en remplir des fioles et en faire le trafic.
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L’UdeM se défend
«Le comité de prévention au harcèlement de l’UdeM est très ouvert et intéressé à collaborer avec les spécialistes pour ses campagnes de sensibilisation », assure la directrice du bureau d’intervention en matière de harcèlement (BIMH), Pascale Poudrette.
En réaction aux remarques de Jean-Sébastien Fallu sur le fait que les professeurs spécialistes des drogues soient trop peu consultés, Mme Poudrette assure que différents points de vue sont sollicités. «Le comité de prévention du harcèlement est très représentatif. Des représentants des syndicats, des étudiants, des services aux étudiants, des professeurs ou encore des chargés de cours y siègent, souligne-t-elle. Ce serait effectivement une très belle idée de travailler en collaboration avec Jean-Sébastien Fallu sur les questions reliées aux drogues. »
Le comité a travaillé avec la section des agressions sexuelles de la police de Montréal lors de la semaine de prévention qui s’est tenue du 11 au 14 mars à l’UdeM et qui portait sur la consommation responsable pour prévenir les risques d’agression.