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La faim pour la fin

Karim Gaafar et Chadi* sont étudiants à l’Université McGill. Le premier est en première année au baccalauréat en génie électrique et le deuxième suit des études en psychologie. En plus de poursuivre leur cursus dans la plus ancienne université du Québec, tous deux ont un autre point en commun: ils ont commencé une grève de la faim.

Karim fait partie d’un groupe de « grévistes relayeurs », ce qui signifie qu’il se prive de nourriture pour une période de deux à cinq jours avant de laisser sa place à un·e autre gréviste.

Chadi, pour sa part, est un « gréviste indéfini », son jeûne n’a donc pas de date de fin déterminée. Depuis l’hospitalisation de sa camarade Rania Amine le 23 mars dernier, il demeure le seul gréviste indéfini à McGill.

Les deux jeunes hommes font partie d’un groupe composé d’une douzaine d’étudiant·e·s qui pratiquent la grève de la faim depuis le 19 février dernier. L’objectif ? Inciter l’Université à désinvestir des compagnies qui participeraient au financement de l’armée israélienne et pousser l’établissement à boycotter les instituts de recherche et les universités d’Israël.

Motivations et explications

Cette méthode de protestation se maintient surtout dans une logique de visibilité pour Chadi, qui déplore l’inaction de McGill face aux récents efforts des étudiant·e·s. « Le désinvestissement et le boycottage académique sont dans les conversations depuis un petit bout de temps, et on est rendu à un point où l’Université ignore tous les moyens que les étudiants ont utilisés pour faire valoir ces revendications », reproche-t-il.

Au cours d’un référendum organisé le 20 novembre dernier, les étudiant·e·s de l’Université ont voté à 78% en faveur de la ratification de la Politique contre le génocide en Palestine, proposée par l’Association étudiante de l’Université McGill.

Malgré cet appui majoritaire, la Cour supérieure du Québec a émis une ordonnance de sauvegarde, empêchant temporairement l’association d’aller de l’avant avec cette motion. Une décision qui perturbe Karim. « Normalement, nous, on passe par les méthodes démocratiques pour faire entendre notre voix, fait-il valoir. Et là, ça ne nous a menés à rien. »

Chadi lors d’un « die-in » à l’Université McGill le 28 mars dernier. Il en était à son 27e jour de jeûne. Photo | Emmalie Ruest

Pour Chadi, l’heure est donc venue d’utiliser de plus grands moyens pour faire pression sur l’administration de l’Université. « On est rendus là, affirme-t-il. On est rendus à dire: “c’est le temps de mettre un peu plus sur la ligne”, en espérant que l’on soit écouté et en demandant d’être écouté. »

Une lourde charge à porter

Cette forme de protestation vient avec certaines conséquences, surtout sur le plan de la santé. Chadi vit avec des problèmes de santé chroniques, et le jeûne prolongé accentue ses douleurs physiques. « Chaque fois que je marche, ça me fait mal, et les gens ne visualisent pas ça, ils ont dû mal à s’imaginer que chaque pas qu’ils prennent peuvent faire mal », confie l’étudiant.

Cet effet secondaire n’est pas surprenant. En effet, selon, la professeure titulaire au Département de nutrition de l’UdeM Geneviève Mailhot, lorsque le corps est en carence en glucose provenant de sources extérieures (nourriture), celui-ci puise sa source d’énergie ailleurs.

« Des organes produisent alors du glucose à partir de molécules non glucidiques tels que certains acides aminés provenant des protéines du corps, explique-t-elle par voie de courriel. Comme le corps ne possède pas de réserves de protéines, il utilisera ses protéines corporelles, soit les protéines musculaires, puis celles de certains organes, pour fournir les acides aminés. »

En conséquence, la fonte des protéines musculaires mène à une diminution de la masse musculaire, qui se traduit alors par de la faiblesse et par une plus grande difficulté à se mouvoir.

Cependant, la réduction de la masse musculaire n’est pas la seule incidence d’un jeûne prolongé. « Lorsque l’utilisation des protéines viscérales s’amorce, la structure et l’intégrité des organes, dont le foie, les reins, les poumons et le cœur s’en trouveront affectées, ce qui, ultimement, nuira à plusieurs fonctions vitales, précise Mme Mailhot. Une fonte trop importante des protéines viscérales peut menacer la survie. »

Bien que très peu de données soient disponibles sur les effets à long terme d’un jeûne prolongé comme celui que Chadi pratique actuellement, la professeure émet tout de même une mise en garde. « Certaines manifestations de nature neurologique peuvent être irréversibles chez des individus ayant fait une grève de la faim, lorsqu’ils ont été évalués un an plus tard, avertit-elle. Ceci serait attribué à des dommages cérébraux permanents. »

Hier et ailleurs

La grève de la faim à McGill n’est pas sans précédent. En 1985, après des manifestations prolongées de la Société des étudiants africains et du Réseau des étudiants noirs de McGill, elle était la première des universités à cesser toute relation avec des compagnies faisant affaire dans le régime d’apartheid sud-africain. Ce mouvement est d’ailleurs l’un des jalons auxquels les grévistes de la faim actuels se réfèrent pour motiver leur mouvement contestataire.

En 2020, des étudiant·e·s de Colombie-Britannique avaient pour leur part créé un mouvement intégrant une grève de la faim afin de réclamer à l’Université de la Colombie-Britannique le désinvestissement du secteur des hydrocarbures. L’établissement avait alors mis fin à des ententes d’une valeur totale de plus de 1,7 milliard de dollars des énergies fossiles.

En 2022, des étudiant·e·s de l’UdeM avaient quant à eux occupé le pavillon Roger-Gaudry pour pousser l’administration à désinvestir du secteur des hydrocarbures. Deux occupant·e·s avaient effectué une grève de la faim, qui avait mené à l’hospitalisation de l’un des deux grévistes. Cette occupation semble aussi avoir eu l’effet escompté. L’UdeM s’est en effet engagée à retirer de son portefeuille d’investissement toutes les actions cotées en Bourse de compagnies opérant dans le domaine des énergies fossiles d’ici le 31 décembre 2025.

Malgré l’attention médiatique que la grève de la faim à McGill a pu engendrer, Chadi espère que celle-ci n’éclipsera pas la souffrance des personnes qui vivent la guerre à Gaza. « Oui, je pourrais dire à quel point ce n’est pas amusant et combien ça me fait mal et combien je souffre, mais j’essaie de balancer ça et de rappeler à tout le monde que ce que nous avons, ce n’est vraiment pas aussi pire, soutient-il. Nous faisons ça pour une raison, et je ne veux pas mettre notre souffrance au-dessus de la leur. »

* L’étudiant n’a pas souhaité donner son nom de famille.

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