« Je me sens plus proche des autres maintenant que je n’ai plus de téléphone »

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Par Romeo Mocafico
vendredi 20 novembre 2020
« Je me sens plus proche des autres maintenant que je n’ai plus de téléphone »
Pour l’étudiante, il est évident que ce qu’elle considérait alors comme une « addiction » à son téléphone avait des conséquences directes sur sa santé mentale. Crédit : pxfuel.
Pour l’étudiante, il est évident que ce qu’elle considérait alors comme une « addiction » à son téléphone avait des conséquences directes sur sa santé mentale. Crédit : pxfuel.

En proie à la pression des notifications, Catherine Lortie-Vachon a décidé de prendre ses distances avec son téléphone intelligent il y a un peu plus d’un an. Pour l’étudiante en relations industrielles à l’UdeM, cette étape s’est révélée bénéfique pour sa santé mentale et lui a permis de se rapprocher d’elle-même et des autres.

« Je l’utilisais tout le temps, se rappelle Catherine. Le matin, je restais un bon 30 minutes dans mon lit sur Facebook. Je passais toutes mes pauses sur les réseaux sociaux. C’était très intrusif, je n’avais pas un seul moment avec moi-même.»

L’étudiante a pris la décision de s’éloigner de son cellulaire après la mort de son père, lorsque les compagnies d’assurances et les services funéraires exerçaient une « forte pression » sur la jeune femme par leurs appels répétés. « J’ai encore un appareil cellulaire à ma disposition, mais il n’a plus aucun numéro de téléphone associé, affirme Catherine. Depuis, je n’ai jamais ressenti le besoin d’en avoir un. »

Une porte de sortie

Catherine assure mener une vie plus sereine depuis cette décision. Le recul lui a fait remarquer la place qu’occupait son cellulaire dans sa vie. « Je le considérais un peu comme une porte de sortie, une opportunité de s’enfuir de ses obligations, de ses émotions, explique-t-elle. Ça apportait beaucoup de conflits dans ma vie aussi, surtout quand tu vois tous ces avis négatifs sur les réseaux sociaux. »

Pour l’étudiante, il est évident que ce qu’elle considérait alors comme une « addiction » à son téléphone avait des conséquences directes sur sa santé mentale.

Dans le sillage de l’expérience rapportée par Catherine, une étude publiée en août dans le
Journal of Adolescent Health
 maintient que la dépendance au téléphone intelligentest un bon prédicteur des sentiments de solitude et des symptômes de dépression. La recherche menée sur des jeunes de 18 à 20 ans suggère que l’utilisation abusive de son cellulaire les précède, et non l’inverse.


Se déconnecter pour se rapprocher

D’après le professeur au Département de technologies de l’information de HEC Montréal Pierre-Majorique Léger,la « nomophobie* » (no mobile-phone phobia), ou mobidépendance, est la peur d’être séparé de son téléphone. Si pour l’expert,on ne peut pas considérer ce phénomène comme une dépendance à proprement parler, il peut s’expliquer par la crainte de l’exclusion sociale de son utilisateur.

Catherine, qui reconnaît que son cellulaire lui permettait de garder contact facilement avec son réseau, révèle que s’éloigner de son appareil lui a paradoxalement permis de se rapprocher de son entourage. « Je me sens plus proche des autres maintenant que je n’ai plus de téléphone, déclare-t-elle. J’ai vraiment plus un lien présent. Quand je passe la journée avec mon copain, j’en profite beaucoup plus, et c’est à moi de lui demander de lâcher son cellulaire. »

L’étudiante, qui conserve un compte Messenger actif, explique en réguler son utilisation. « Je ne l’utilise qu’à des moments très précis de ma journée, poursuit-elle. Et je garde mon cell pour aller chercher des recettes de cuisine, mais je l’éteints quand je vais en cours, et à la maison aussi, car sinon, c’est impossible de se concentrer. »

Grâce à ce changement dans ses habitudes, Catherine a ressenti des effets positifs sur sa santé mentale. « Je suis plus ancrée dans le moment, maintenant. Je vais prendre le temps d’être avec moi, avec mes pensées, ce qui est beaucoup plus utile au final. »

Obligée de garder contact

L’étudiante soulève toutefois un problème auquel elle se confronte régulièrement depuis son désir d’émancipation numérique. « On est dans une société où on te demande absolument d’avoir un cellulaire, mais où on dénonce aussi cette dépendance-là », souligne-t-elle.

Pour la jeune femme, il s’agit d’un cercle vicieux. « L’une des difficultés, c’est au niveau gouvernemental et administratif, explique-t-elle. Les services veulent tout le temps t’appeler ! J’essaye de m’enfuir de tout ça, mais en même temps, il faut que tu aies un téléphone pour qu’on puisse te contacter, ou si tu as des problèmes. »

Malgré ces inconvénients, Catherine continuera à faire valoir ses nouvelles habitudes et à profiter de sa vie quasi déconnectée.

*L’Office québécois de la langue française déconseille l’emploi de ce terme, qui ne s’intègre pas à la langue d’un point de vue morphosémantique.