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La nomophobie, ou la peur d’être séparé de son téléphone

La « nomophobie* » (no mobile-phone phobia), ou la mobidépendance, est la peur d’être séparé de son téléphone. Ce phénomène, qui résulte d’une utilisation dite « abusive » des technologies, relèverait davantage d’une phobie de l’exclusion sociale que d’une dépendance.

« La nomophobie est l’anxiété d’être séparé de son téléphone, que ce soit parce qu’on l’oublie à la maison, parce qu’il n’y a plus de batterie ou parce qu’il n’y a pas de réseau cellulaire, par exemple, explique le professeur au Département de technologies de l’information de HEC Montréal, Pierre-Majorique Léger. Dans ses recherches, il utilise les termes de « surutilisation » ou « d’utilisation abusive » du téléphone.

Suis-je nomophobe ? 

D’après M. Léger, des signes précurseurs permettent de détecter si une personne est nomophobe. « Ce sont des signes qui s’apparentent à de l’anxiété et à du stress, détaille-t-il. Est-ce que vous prenez deux chargeurs avec vous quand vous sortez ? Pour certains, ce phénomène prend une réelle envergure. »  

Pour le professeur, certaines personnes ont l’impression de ne jamais déconnecter de la journée. « Elles se lèvent le matin et la première chose qu’elles font, c’est regarder leur téléphone, elles ne vont jamais s’en séparer à moins d’un mètre », précise-t-il.

La crainte de l’exclusion sociale

M. Léger fait référence au syndrome « FoMO », acronyme de the fear of missing out, ou la peur de manquer quelque chose. « C’est cette menace sociale, la crainte d’être exclu d’un réseau social », affirme-t-il.

Il peut également y avoir une incertitude associée à la durée de cette séparation avec le téléphone. « Par exemple, si vous êtes un parent et que votre enfant est à la garderie, puis que soudainement, vous n’avez pas accès à votre téléphone, illustre le professeur. Ici, ce n’est pas le fait d’être déconnecté du milieu social le problème, mais de ne pas être joignable. »

M. Léger affirme que de nombreuses études ont été menées sur le stress que peut générer la technologie chez les individus. « En ce moment, tout le monde a dû s’adapter rapidement à Zoom ou à Teams, poursuit-il. Ça a généré du stress. Ce qui est un peu ironique, mais intéressant, c’est que le retrait de la technologie peut aussi causer du stress. »

Entre phobie et dépendance

D’après M. Léger, la mobidépendance n’est pas une dépendance. « Ça n’existe pas une dépendance à l’Internet, explique-t-il. Il y a des dépendances aux jeux ou aux drogues dures, par exemple. La notion de dépendance requiert, au niveau du cerveau, un scénario de récompense. »

D’après le professeur, lorsqu’une personne dépendante arrête sa consommation, s’en suit une période de sevrage. « Cette période va prendre souvent des semaines, des mois, pour que la personne sorte d’une situation de dépendance, affirme-t-il. Dans le contexte de l’utilisation des technologies, peut-être que les premiers jours, vous allez penser à votre téléphone, mais vous n’allez pas être en sevrage pendant une semaine, dans votre lit, en état de récupération. »

M. Léger donne l’exemple du restaurant, un contexte social où la norme est de ne pas utiliser son téléphone. Pour certains, ne plus y toucher pourrait entraîner un stress important. « Chez certaines personnes, la nomophobie est très réelle, mais ça ne veut pas dire qu’elles sont dépendantes de leur téléphone », assure-t-il.

« La nomophobie n’est pas un diagnostic officiel dans le DSM [le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux] », conclut M. Léger. D’après lui, cette peur n’est pas un trouble de l’anxiété, mais il estime qu’il existe une comorbidité** entre les deux. « Cette surutilisation des technologies de l’information peut venir exacerber d’autres psychopathologies »,dit-il. Ce phénomène, d’après lui, touche surtout les jeunes.

*L’Office québécois de la langue française déconseille  l’emploi de ce terme, qui ne s’intègre pas à la langue d’un point de vue morphosémantique.

**La comorbidité désigne la coexistence chez un même patient de deux ou plusieurs troubles ou maladies.

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