La nomophobie, ou la peur d’être séparé de son téléphone

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Par Esther Thommeret
jeudi 5 novembre 2020
La nomophobie, ou la peur d’être séparé de son téléphone
Selon M.Léger la "nomophobie" relèverait davantage de la crainte de l'exclusion sociale et de manquer quelque chose, que de la dépendance à son téléphone. Crédit : pxhere.
Selon M.Léger la "nomophobie" relèverait davantage de la crainte de l'exclusion sociale et de manquer quelque chose, que de la dépendance à son téléphone. Crédit : pxhere.

La « nomophobie* » (no mobile-phone phobia), ou la mobidépendance, est la peur d’être séparé de son téléphone. Ce phénomène, qui résulte d’une utilisation dite « abusive » des technologies, relèverait davantage d’une phobie de l’exclusion sociale que d’une dépendance.

« La nomophobie est l’anxiété d’être séparé de son téléphone, que ce soit parce qu’on l’oublie à la maison, parce qu’il n’y a plus de batterie ou parce qu’il n’y a pas de réseau cellulaire, par exemple, explique le professeur au Département de technologies de l’information de HEC Montréal, Pierre-Majorique Léger. Dans ses recherches, il utilise les termes de « surutilisation » ou « d’utilisation abusive » du téléphone.

Suis-je nomophobe ? 

D’après M. Léger, des signes précurseurs permettent de détecter si une personne est nomophobe. « Ce sont des signes qui s’apparentent à de l’anxiété et à du stress, détaille-t-il. Est-ce que vous prenez deux chargeurs avec vous quand vous sortez ? Pour certains, ce phénomène prend une réelle envergure. »  

Pour le professeur, certaines personnes ont l’impression de ne jamais déconnecter de la journée. « Elles se lèvent le matin et la première chose qu’elles font, c’est regarder leur téléphone, elles ne vont jamais s’en séparer à moins d’un mètre », précise-t-il.

La crainte de l’exclusion sociale

M. Léger fait référence au syndrome « FoMO », acronyme de the fear of missing out, ou la peur de manquer quelque chose. « C’est cette menace sociale, la crainte d’être exclu d’un réseau social », affirme-t-il.

Il peut également y avoir une incertitude associée à la durée de cette séparation avec le téléphone. « Par exemple, si vous êtes un parent et que votre enfant est à la garderie, puis que soudainement, vous n’avez pas accès à votre téléphone, illustre le professeur. Ici, ce n’est pas le fait d’être déconnecté du milieu social le problème, mais de ne pas être joignable. »

M. Léger affirme que de nombreuses études ont été menées sur le stress que peut générer la technologie chez les individus. « En ce moment, tout le monde a dû s’adapter rapidement à Zoom ou à Teams, poursuit-il. Ça a généré du stress. Ce qui est un peu ironique, mais intéressant, c’est que le retrait de la technologie peut aussi causer du stress. »

Entre phobie et dépendance

D’après M. Léger, la mobidépendance n’est pas une dépendance. « Ça n’existe pas une dépendance à l’Internet, explique-t-il. Il y a des dépendances aux jeux ou aux drogues dures, par exemple. La notion de dépendance requiert, au niveau du cerveau, un scénario de récompense. »

D’après le professeur, lorsqu’une personne dépendante arrête sa consommation, s’en suit une période de sevrage. « Cette période va prendre souvent des semaines, des mois, pour que la personne sorte d’une situation de dépendance, affirme-t-il. Dans le contexte de l’utilisation des technologies, peut-être que les premiers jours, vous allez penser à votre téléphone, mais vous n’allez pas être en sevrage pendant une semaine, dans votre lit, en état de récupération. »

M. Léger donne l’exemple du restaurant, un contexte social où la norme est de ne pas utiliser son téléphone. Pour certains, ne plus y toucher pourrait entraîner un stress important. « Chez certaines personnes, la nomophobie est très réelle, mais ça ne veut pas dire qu’elles sont dépendantes de leur téléphone », assure-t-il.

« La nomophobie n’est pas un diagnostic officiel dans le DSM [le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux] », conclut M. Léger. D’après lui, cette peur n’est pas un trouble de l’anxiété, mais il estime qu’il existe une comorbidité** entre les deux. « Cette surutilisation des technologies de l’information peut venir exacerber d’autres psychopathologies »,dit-il. Ce phénomène, d’après lui, touche surtout les jeunes.

*L’Office québécois de la langue française déconseille  l’emploi de ce terme, qui ne s’intègre pas à la langue d’un point de vue morphosémantique.

**La comorbidité désigne la coexistence chez un même patient de deux ou plusieurs troubles ou maladies.