Volume 20

Éthique : Se salir les mains pour les garder propres?

L’intellectuel doit-il garder les mains propres en restant en dehors de la mêlée ou investir le débat public au risque de se salir les mains ? Le Centre de recherche en éthique de l’UdeM (CREUM) y a réfléchi dans le cadre du colloque de son dixième anniversaire. Une question particulièrement pertinente alors que le problème de la corruption est au coeur de l’actualité.

Le 1er novembre dernier, le CREUM a proposé une conférence intitulée Les mains sales: de la théorie à la pratique lors de son colloque «L’avenir de l’éthique» organisé pour ses 10 ans. Le professeur de philosophie à l’UdeM, Christian Nadeau, y est intervenu, ainsi que le professeur à la Faculté de droit de McGill et philosophe, Daniel Weinstock.

Pour ce dernier, le rôle de l’universitaire est de ne pas trop prendre position, mais de clarifier les enjeux du débat. Son implication dans la rédaction d’un rapport de la Société royale du Canada recommandant de légaliser l’euthanasie l’a amené toutefois à réaliser que « la recherche et la neutralité ne sont vont pas toujours de paire». Cependant, «l’intellectuel universitaire, quand il se salit les mains, doit être autre chose qu’un simple partisan», a averti celui qui a considéré la possibilité d’entrer en politique par le passé.

La conférence visait à débattre du rôle du philosophe politique et de l’éthicien. Ils tendent parfois à rester dans leur tour d’ivoire pour réfléchir sur des questions abstraites n’intéressant qu’un petit nombre de personnes .

M. Nadeau a fait le rapprochement entre le titre de la conférence et l’actualité marquée par la question de la corruption. Pour lui, il est clair que le rôle de l’universitaire implique de se salir les mains. « Les intellectuels veulent tellement garder les mains propres qu’ils ne vont pas s’engager dans un travail critique pour comprendre les causes profondes [du phénomène de la corruption] », a-t-il déclaré.

Expliquant la corruption par un détournement et un abandon des institutions, il estime nécessaire d’intervenir dans le débat social pour expliquer les raisons profondes du détournement des institutions au profit d’intérêts particuliers et montrer les étapes de ce détournement.

Et, pour celui qui publie des articles dans Le Devoir, cela suppose d’intervenir dans les médias. Car ne pas le faire signifie «abandonner la place publique à ceux qui veulent la détourner pour leurs propres intérêts ». Il considère l’engagement dans le débat public comme un prolongement de son travail de recherche. «Il arrive que les mains sales obligent à en lever au moins une, c’est-à-dire la gauche, de façon à ce qu’il y ait un poing tendu vers le ciel», a-t-il affirmé.

M. Nadeau estime aussi que des institutions comme le CREUM doivent, elles aussi, ne pas rester en surplomb des autres institutions. Elles doivent participer à des rapports ou à des commissions et se positionner sur des enjeux fondamentaux comme l’éducation supérieure. Il s’est donc félicité du rôle de « courroie de transmission entre la recherche fondamentale et des problèmes concrets» que joue le CREUM. Cela participe selon lui à une réappropriation des institutions.

Il a souligné le danger que représente le fait que le Centre puisse devenir une boîte d’expertise, car «souvent quand on consulte des experts, c’est pour cautionner un message préécrit» .

 

 

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