Volume 21

Des professeurs de l’UdeM contre la Charte

Plus d’une centaine de professeurs de l’UdeM ont cosigné une lettre, le 9 décembre, dans laquelle ils s’opposent à la mise en place de la Charte des valeurs dans les universités.

Le professeur à la Faculté de droit Jean Leclair est l’initiateur de la lettre qui a été signée par 112 professeurs de l’Université.

« La liberté de penser ne vise pas à protéger la liberté de pensée de ceux qui sont d’accord avec nous, mais celles de ceux qui expriment des pensées avec lesquelles nous sommes fondamentalement en désaccord. il en va de même de la liberté de religion », écrivent les professeurs signataires.

Toutefois, selon le président du Syndicat des professeurs de l’UdeM (SGPUM), Jean Portugais, la lettre n’obtiendrait pas un consensus général auprès des 1300 enseignants représentés par le Syndicat.

Les signataires insistent sur le fait que le projet de loi 60 voulu par le gouvernement péquiste nuit à l’intégration et freine l’accès à l’Université à des candidats compétents qui portent des signes religieux.

Pour M. Leclair, l’Université doit rester un lieu de pensée libre. 

Le 2 décembre, l’assemblée universitaire de l’UdeM s’est officiellement opposée à l’instauration de la Charte. À ce jour, quatre des universités montréalaises se sont prononcées contre la Charte. Seule l’Université Concordia ne s’est pas pas positionnée.

 

Lettre des professeurs de l’UdeM

Fide splendet et scientia : un obstacle à la libre pensée?

Le projet de loi no 60 et les universitaires

Le gouvernement minoritaire actuellement au pouvoir à Québec a récemment déposé le projet de loi no 60 intitulé Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement. Aux termes de ce projet de loi, les professeurEs et chargéEs de cours de l’Université de Montréal, dans l’exercice leurs fonctions, seront tenuEs de ne pas porter un signe marquant ostensiblement une appartenance religieuse. Cette interdiction n’a pas lieu d’être.

La liberté de conscience et la laïcité

Il ne fait aucun doute que les dispositions en cause du projet de loi portent atteinte aux libertés de conscience et de religion des professeurs d’université. Non seulement la Charte québécoise des droits et libertés et le droit international – auquel le Québec a volontairement choisi de se lier – les garantissent à tous, mais celles-ci sont, de surcroît, au coeur de l’idée même de laïcité. Un État neutre et laïque doit respecter, en toute égalité, la liberté de conscience de chacun, en ne favorisant ni la foi des uns, ni l’athéisme ou l’agnosticisme des autres. Un État neutre et laïque ne peut contraindre une personne à adopter certaines croyances religieuses, non plus qu’il ne peut empêcher ou agir de façon à empêcher une personne d’exercer son droit de cultiver les siennes. 

Il importe peut-être de rappeler, comme le disait le grand juge américain Oliver Wendell Holmes, que le principe de la liberté de pensée ne vise pas à protéger la pensée de ceux qui sont d’accord avec nous, mais celle de ceux qui expriment des pensées avec lesquelles nous sommes fondamentalement en désaccord. Il en va de même de la liberté de religion.

Les universitaires ne sont pas la bouche de la volonté étatique 

En quoi la mission des professeurEs d’université et des chargéEs de cours constitue-t-elle une fonction étatique ? Depuis quand les universités sont-elles des lieux de mise en oeuvre des choix politiques de l’État ? Les universitaires ne sont pas la bouche par laquelle s’expriment les volontés des gouvernements en place. Le paiement de leurs salaires par l’État ne fait pas de ceux-ci des perroquets gouvernementaux. Est-ce que la devise de notre institution –Fide splendet et scientia (Elle rayonne par la foi et la science)- nous a collectivement empêchés de développer une pensée autonome et libre?

L’université : une entreprise critique

Une université, si elle en mérite le nom, est une institution qui, chaque minute, devrait déstabiliser sa population professorale et étudiante afin de l’arracher à ses certitudes. Elle a entre autres pour vocation de débusquer les demi-vérités et de vérifier le bien-fondé des intuitions, y compris celles qui fondent les politiques publiques.

En l’absence d’une preuve tangible de prosélytisme, l’exclusion d’intellectuels attitrés qui affichent un signe religieux contreviendrait radicalement à la vocation critique de notre profession. Reviendrons-nous à cette époque où les universités anglophone et francophone du Québec faisaient obstacle à l’admission des Juifs, ou nous rappellerons-nous que notre institution a été l’une des premières à abandonner cette pratique ? À quelle mémoire nous attacherons-nous ?

Le port de signes religieux, le prosélytisme et l’égalité entre les femmes et les hommes

Le port d’un signe religieux par un universitaire ne met pas en péril « les valeurs que constituent la séparation des religions et de l’État ainsi que la neutralité religieuse et le caractère laïque de celui-ci. » Affirmer que le port d’un signe religieux constituerait une pression indue sur le corps étudiant, ou encore qu’à lui seul il serait l’expression d’une forme de prosélytisme est une absurdité. On ose espérer que les étudiants universitaires sont faits d’une étoffe plus solide.

En outre, on ne peut affirmer, sans rire, qu’une professeure d’université portant le voile puisse incarner, au Québec, une image attentatoire « à la valeur que représente l’égalité entre les femmes et les hommes. » Comment prétendre une telle chose, si cette personne a été embauchée, généralement au terme d’un long parcours académique au cours duquel elle s’est distinguée par la rigueur et l’originalité de son travail, par des collègues membres d’une grande université nord-américaine comme la nôtre, fleuron d’une société qui baigne dans une culture libérale depuis des décennies ? Prétendre une telle chose, c’est faire insulte à l’intelligence des unes et des autres.

Enfin, contrairement à l’objectif qu’on lui prête, le projet de loi viendra porter atteinte au droit à l’égalité des femmes et des hommes au sein de notre corps professoral, en nuisant à l’intégration de celles et ceux dont la conscience requiert le port de signes religieux. Sans qu’aucune urgence n’ait été démontrée, sans qu’une quelconque preuve de prosélytisme n’ait été avancée, le projet de loi aura pour effet d’interdire, par exemple, à des femmes musulmanes francophones, parfaitement compétentes et désireuses de participer à une entreprise d’investigation intellectuelle réflexive et critique, la possibilité de ce faire.

Inutile de rappeler également que tous les professeurEs signataires de cette lettre estiment également de leur devoir moral de soutenir le principe de l’égalité d’accès à l’éducation supérieure et d’exprimer leur solidarité la plus grande envers une catégorie de nos étudiantEs qui subiront les préjudices directs de l’article 5 du projet de loi. À quoi bon défendre l’accès équitable à l’Université si le projet de loi aura pour effet d’empêcher certainEs de nos étudiantEs de pratiquer leur profession au sein de la fonction publique et même dans le domaine parapublic si on en juge par l’article 10 ? Cette contrainte excessive et injustifiée aura pour conséquence d’appauvrir la société québécoise en la privant de l’expertise et de la compétence professionnelles de certainEs de nos diplôméEs. Au nom de notre liberté académique, de notre liberté de conscience et du principe de l’égalité des opportunités pour tous et toutes, les cosignataires de cette lettre déclarent que nous sommes solidaires avec nos collègues et nos étudiantEs visés par l’article 5 du projet de loi.

Bref, dans la mesure où il s’applique aux universités, ce projet de loi vient heurter de plein fouet le coeur de ce qui fait leur mission : la liberté de pensée dans le plus grand respect de ce qui fait la richesse et la complexité de la société québécoise moderne.

Jean Leclair (Faculté de droit, UdM), avec la collaboration de V. Amiraux (sociologie), R. Chung (philosophie), J.-F. Gaudreault-Desbiens (droit), F. Merand (science politique), M. Seymour (philosophie).

Cosignée par : 

Benoit Moore (droit) ; Marc-André Éthier (didactique); Jean-Claude Marsan (aménagement/architecture); Christian Nadeau (philosophie) ; Amissi M. Manirabona (droit); Jean Wilkins (médecine/pédiatrie); Bettina Bergo (philosophie); Ollivier Hubert (histoire) ; Dominique Scarfone (psychologie); France Houle (droit); Maxime Doyon (philosophie) ; Diane Labrèche (droit); Sara Teitelbaum (sociologie); Jean-Sébastien Fallu (psychoéducation) ; Catherine Régis (droit); Phaedra Royle, (linguistique, orthophonie et audiologie); Isabelle Duplessis (droit); Jacques Moreau (école service social); Stéphane Rousseau (droit); Peter Dietsch, (philosophie) ; Luc Tremblay (droit); Anna Ghiglione (philosophie & centre d’études de l’Asie de l’Est); Harith Al-Dabbagh (droit); Sirma Bilge (sociologie) ; Pierre Trudel (droit); Stéphane Cantin (psychoéducation) ; Christine Tappolet (philosophie) ; Élise Charpentier (droit); Jeffrey Talpis (droit); Martine Valois (droit); Daniel Poulin (droit); Karyne Bates (anthropologie); Deirdre Meintel (anthropologie); Gilles Bibeau (anthropologie); Pascale Lehoux (administration de la santé); John Leavitt (anthropologie); Isabelle Ribot (anthropologie); Marie Luquette (ch. de cours (didactique)); Michel Morin (droit); Adrian Burke (anthropologie); Guy Lanoue (anthropologie); Michel-M. Campbell (théologie et sciences des religions); Konstantia Koutouki (droit); Yanick Noiseux (sociologie); Solange Lefebvre (théologie et sciences des religions); Noura Karazivan (droit); Mireille Beaudet (ch. de cours (droit)); Marcel Fournier (sociologie); Sonia Gauthier (école service social); Katherine Frohlich (administration de la santé); Jean Grondin (philosophie) ; Marie-Laurence Poirel (école service social); Anne-Hélène Jutras (didactique); Marie-Josée Aubin (ophtalmologie); Pierre Popovic (littérature de langue française); Marie Lacroix (école de service social) ; Jean Décarie (aménagement) ; Han-Ru Zhou (droit) ; Barbara Thériault (sociologie) ; Roxane de la Sablonnière (psychologie) ; Isabelle Archambault, (psychoéducation) ; Lisa Dillon (démographie) ; Michelle Drapeau (anthropologie) ; Cynthia Milton (histoire) ; Patricia Lamarre (sciences de l’éducation) ; Dominique Caouette (science politique) ; Alain Legault (sciences infirmières) ; Sarah Dufour (psychoéducation) ; Judith Ainsworth (ch. de cours (sciences de l’éducation)) ; Estelle Carde (sociologie) ; Frédéric Bérard (ch. de cours (droit)) ; Fabien Desage (prof. invité (science politique) ; Nicolas Sallée (sociologie) ; Eric Montpetit (science politique) ; Jane Jenson (science politique) ; Tamara Vukov (communication); Magdalena Dembinska (science politique) ; Pascale Dufour (science politique) ; Mamoudou Gazibo (science politique) ; Dyala Hamzah (histoire); Christine Rothmayr (science politique) ; Theodore McLauchlin (science politique) ; Graciela Ducatenzeiler (science politique) ; Marie-Joëlle Zahar (science politique) ; Laurence Bherer (science politique) ; Philippe Faucher (science politique) ; Jean-François Godbout (science politique) ; Carlo Morselli (criminologie); Benoît Dupont (criminologie); Stéphane Rousseau (droit); Marie-Claude Rigaud (droit); Mira Johri (Médecine sociale et préventive) ; Vardit Ravitsky (Bioéthique); Violaine Lemay (droit); Neuwahl Nanette (droit); Patrice Brodeur (théologie et sciences des religions); Hélène Trudeau (droit); Renée-Claude Drouin (droit); Gérard Beaudet (urbanisme); Nicole Gombay (géographie); Gilles Trudeau (droit); Pauline Wolff (aménagement); Jacques Fisette (urbanisme); Diop Djibril (ch. de cours (urbanisme)); Nada Touei (ch. de cours (urbanisme)); Martin Gagnon (urbanisme); Guylaine Vallée (relations industrielles);

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