Nous écrivons à la suite de la publication de l’article « Allégations de racisme à HEC Montréal: les étudiants s’excusent » paru dans le dernier numéro du Quartier Libre. Comme étudiants noirs, nous voulons donner notre point de vue sur l’incident.
Rappelons que le 14 septembre dernier, durant une activité d’initiation, des étudiants de HEC, voulant « rendre hommage » à l’olympien Usain Bolt, sont allés au stade de football de l’UdeM peints en noir (certains portant des perruques rastas) en scandant des slogans de « smoke some weed, man! », avec l’accent stéréotypé jamaïcain, brandissant des singes en peluche (la mascotte de leur association, que certains étudiants ont feint de sodomiser), et se sont donnés en spectacle allègrement.
Grâce à la vigilance d’Anthony Morgan, l’« affaire blackface » s’est propagée comme une traînée de poudre à travers la planète, faisant même la une de CNN.com. Une pluie de courriels et d’appels a envahi la direction de HEC, qui a d’abord nié l’intention raciste de la part des étudiants, puis s’est vite rétractée, après s’être rendue compte de la gravité de la situation et de l’indignation du public. Le secrétaire général de HEC a déclaré publiquement que les actes commis étaient inexcusables et qu’une formation serait donnée aux étudiants impliqués dans l’incident.
Jacques Nantel a subséquemment présenté des excuses formelles à Anthony Morgan au nom de HEC. Les étudiants noirs de HEC-UdeM-Poly et les communautés noires de Montréal n’ont pas eu droit au même égard.
En entrevue à Quartier Libre, trois des participants de l’activité se sont excusés auprès des étudiants jamaïcains et de la communauté noire de Montréal.
Nous apprécions leur sincérité, mais estimons qu’ils sont bien mal placés pour clamer qu’Anthony aurait dû aller leur parler avant de les traiter de racistes. Anthony n’a d’ailleurs jamais accusé quiconque de racisme, mais a plutôt qualifié leurs actes de racistes – nuance ! Durant la planification de leur activité, ces mêmes étudiants s’étaient-ils donné la peine de contacter les étudiants noirs de HEC et la communauté jamaïcaine de Montréal pour demander conseil quant à la bonne façon de rendre hommage à Usain Bolt ? Outre Maxime Côté, Alexandre et Charles ont refusé de divulguer leur nom de famille, de peur de représailles.
Représailles de la part de qui? Des méchants cannibales barbares, assoiffés du sang des nobles étudiants blancs inoffensifs ? Même en s’excusant, Alexandre et Charles continuent de perpétuer la peur de l’autre.
Nous avons demandé à la direction de HEC la raison pour laquelle personne au sein de son administration ou du CEPSUM n’avait songé à dissuader ces étudiants de participer à l’événement. Et pourquoi personne n’avait essayé de leur en expliquer la teneur raciste et surtout l’histoire humiliante, douloureuse et pénible existant derrière tous ces gestes, pour les Noirs. Il n’y a pas si longtemps que les minstrel shows mettaient en vedette des artistes blancs qui, voulant «rendre hommage aux Noirs», le corps couvert de charbon et les lèvres rouge vif, produisaient des sketches où ils représentaient les Noirs de manière caricaturale et insultante. De telles initiations nous rappellent l’époque esclavagiste québécoise, durant laquelle nous étions considérés comme des êtres inférieurs et des bouffons.
Nous n’avons jamais obtenu de précision de la part de HEC, mais plutôt des messages génériques selon lesquels l’établissement est un milieu ouvert, accueillant des étudiants provenant de plus d’une vingtaine de pays. Même si HEC accueille des ressortissants de plusieurs pays, cela n’importe pas si ces étudiants ne sont pas traités avec respect par leurs condisciples blancs et par la direction.
Depuis l’incident, plusieurs groupes au sein des quatre universités montréalaises ont invité Anthony à parler de son expérience et à présider des séances de discussions sur la diversité culturelle avec leurs étudiants. À notre connaissance, HEC n’a pas encore pris une telle initiative.
Quant à la formation qui sera donnée aux participants de l’incident blackface, la direction de HEC n’a pas non plus été en mesure de nous confirmer quels sujets y seront abordés et comment, ou si Anthony Morgan sera invité, ou si les professeurs, les étudiants noirs de HEC et les organismes communautaires noirs de Montréal seront consultés dans ce processus. Les choses risquent- elles de demeurer à un niveau superficiel ? Nous invitons HEC à revoir ses politiques sur la diversité culturelle et à bonifier ses actions de sensibilisation interculturelle
C’est à travers un dialogue ouvert et par un effort réel que l’on comprendra le point de vue des autres pour être plus respectueux envers toutes les communautés culturelles. Au XXIe siècle, c’est élémentaire.
Mylène F. Dorcé
Étudiante de 3e cycle Département des littératures de langue française Université de Montréal
Ricardo Lamour-Blaise
Étudiant de premier cycle École de service social Université de Montréal