Volume 18

C’est effrayant !

Un chat noir passe dans l’embrasure de la fenêtre.

La porte grince. L’ombre d’un homme surgit sur le mur fissuré. Gros plan sur le regard terrifiant de Béla Lugosi. Une femme blonde et innocente lâche un cri strident. Elle vient probablement de se faire éventrer.

Douillettement installée dans la magnifique salle du Rialto, je détourne mon regard de Black Cat, un classique de l’épouvante signé Edgar G. Ulmer, et proclamé plus gros succès au box office de l’année 1934. Je ne suis pas venue pour regarder le film, mais pour épier les spectateurs. J’essaie de comprendre pourquoi les gens aiment se faire peur. Pourquoi dans ce même lieu, The Rocky Horror Picture Show (p. 15) sera «the place to be» pour Halloween. «La frousse, c’est un sentiment que l’on n’a pas l’occasion de ressentir souvent dans notre quotidien, me chuchote-t-on à ma gauche. C’est agréable de recréer cette sensation artificiellement, dans le confort d’une salle de cinéma, en mangeant du pop-corn.» De la peur contrôlée en quelque sorte. Le coeur qui s’emballe un peu, mais pas trop; juste ce qu’il faut d’adrénaline.

D’une certaine façon, on recherche tous cette adrénaline. Que ce soit en brulant sciemment un feu rouge à vélo ou en finissant in extremis un travail universitaire de mi-session, on l’aime cette petite palpitation. Et certains l’aiment plus que d’autres. Les aventuriers de notre dossier éprouvent un malin plaisir à être sur le terrain, là où ça chauffe, là où ça pète, là où c’est dangereux, avec toutes les mésaventures que cela peut engendrer. Durant son tour du monde à vélo, Valérian Mazataud s’est fait piéger par la mafia albanaise (p. 11); lors de son voyage au Pakistan, Simon Coutu (p.10) a été traqué par des gens qui ne voyaient pas d’un bon oeil ce blanc-bec qui posait trop de questions. Son hôtel a été braqué. Il a eu un peu trop peur, et son visage jovial s’assombrit chaque fois qu’il relate cette histoire.

La peur est peut-être encore plus grande pour ceux qui restent. Demandez à Danielle Laurin, auteure de Promets moi que tu reviendras vivant (critique p. 12). Quand son mari reporter de guerre part sur le terrain, elle est inquiète tout le temps. Il tente de la rassurer en lui jurant qu’il ne prendra pas de risques inutiles. Elle lui répondra du tac au tac : «Mais qu’est-ce qu’un risque utile ?»

Est-ce qu’inviter les convives à boire des bières en écoutant des violons dans un hangar pour démocratiser la musique classique est un risque utile (p. 14)? Est-ce risqué de déranger Monique Mercure, «sommité du monde de l’interprétation », pendant qu’elle se fait les ongles (p. 19)?

Est-ce dangereux de s’enliser dans une dette colossale comme le fait l’UdeM qui traine un boulet de 139 M$ de déficit accumulé (p. 6)? Même si personne ne veut activer le discours alarmiste, ce chiffre me fait bien plus peur qu’un Frankenstein.

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