L’agriculture urbaine s’enracine sur les campus. Les étudiants sont résolus à se nourrir grâce au sol universitaire dans un avenir rapproché. Surtout, ils ont la ferme intention de réconcilier la ville et les champs. Quatre universités, quatre initiatives audacieuses.
UQAM: des jardins subversifs
« Chaque année on agrandit, mais tout est à faire en ce domaine », explique Maxime St-Denis, coordonnateur du Collectif de recherche en aménagement paysager et agriculture urbaine durable (CRAPAUD), en « rêvant de construire une ville verte et nourricière », tel que l’affirme le slogan du collectif.
Beaucoup à planter encore. Et pourtant, le CRAPAUD fait fleurir le Coeur des sciences de l’UQAM, situé au sud de la rue Sherbrooke entre Jeanne- Mance et St-Urbain, depuis maintenant trois ans. Sans attendre la permission nécessaire, le collectif a défriché et a planté il y a trois ans une bande de terre longeant le pavillon Sherbrooke ; le « Jardin clandestin » conserve son nom aujourd’hui.
Même si ses relations avec l’administration et le Service des immeubles et de l’équipement sont « de tièdes à bonnes », précise M. St-Denis, le CRAPAUD perpétue aujourd’hui ses appels à « une appropriation plus critique de l’espace » hors des sentiers asphaltés.
Il incite ainsi à la guérilla jardinière, c’est-à-dire à prendre d’assaut avec des « bombes végétales » les espaces urbains désoccupés.
Hormis cette tendance militante, le CRAPAUD s’insère dans la vie universitaire. Il organise l’École d’été sur l’agriculture urbaine en étroite collaboration avec Éric Duchemin, professeur associé à la Faculté des sciences de l’environnement. Maxime St-Denis ajoute qu’il prévoit d’exprimer en valeur monétaire sa production alimentaire, pesée et recensée minutieusement, « pour parler le même langage que tout le monde ».
Une biodiversité prometteuse à l’UdeM
La culture en pots jouxtant la Centrale thermique, l’apiculture sur le toit du pavillon de la Direction des immeubles et la culture de champignons en contrebas de la montagne n’ont démarré qu’au printemps dernier.
Mais les résultats sont déjà notables. L’agriculture urbaine est moins bien intégrée au paysage de l’Université de Montréal qu’aux autres campus montréalais, mais son site géographique est enviable.
« On nous a demandé de faire nos preuves, je pense que c’est fait », déclare Alexandre Beaudoin, l’un des fondateurs du groupe Production agricole urbaine soutenable et écologique (P.A.U.S.E.).
Le groupe ne se contente pas des cultivars les plus communs. On y cherche à remettre les semences ancestrales au goût du jour, notamment le melon de Montréal, culture disparue durant des décennies à cause de l’urbanisation. En outre, bonne nouvelle pour les plantes du campus, qui seront rassurées de savoir que l’apiculture provoque une véritable passion chez M. Beaudoin: « l’abeille est l’emblème même de la biodiversité, elle y participe grandement par le biais de la pollinisation », explique-t-il.
Les ambitions de P.A.U.S.E. ne s’arrêtent pas là, car M. Beaudoin veut « que ça explose ». La culture maraîchère et les ruches pourraient bien essaimer à plus grande échelle sur le campus dès l’année prochaine et pourquoi pas, s’intégrer au projet d’aménagement de l’ancienne gare de triage de l’UdeM.
Dans les jardins de McGill, on pense
Les étudiants de l’Université McGill désireux de mettre les mains à la terre ont l’embarras du choix, l’institution comptant plusieurs projets d’agriculture urbaine.
Au centre de McGill, les 90 mètres carrés du Campus comestible produisent chaque saison plusieurs centaines de kilos de fruits et de légumes. Des partenaires caritatifs externes à l’Université, Santropol Roulant et Alternatives, se chargent de les distribuer à des Montréalais dans le besoin.
Quant au Campus Crops, collectif formé presque exclusivement d’étudiants, il est davantage une « opportunité d’expérimentation et d’éducation qu’un terrain consacré à la production », de dire Alexandra Blair, coordonnatrice.
L’ouverture à tous et une grande liberté de pratique sont les mots d’ordre, comme en témoignent les tomates poussant «l a tête en bas » et une tentative avortée de cultiver des arachides. Alexandra souhaite que le collectif étudiant « politise l’alimentation » en soulevant les enjeux de l’agriculture des pays du Sud et des nombreux migrants temporaires qui récoltent nos champs. Campus Crops cher – che aussi à boucler la boucle du cycle alimentaire en offrant ses produits à une cuisine collective étudiante, le Midnight Kitchen, et en profitant d’un des rares composteurs industriels de Montréal.
La Ferme du campus MacDonald, située à Sainte-Anne-de-Bellevue, fait figure de projet pédagogique unique sur l’Île de Montréal. Elle compte 205 hectares dédiés à l’élevage de poulets, de porcs, de boeufs ainsi qu’à la culture de maïs et de fourrages. Ces installations réservées à l’apprentissage des étudiants en agriculture sont ouvertes à tous pour des visites ponctuelles.
Concordia sème l’éducation
La spectaculaire serre perchée au 13e étage du pavillon Henry F. Hall date de 1966. Elle était abandonnée depuis plusieurs années et sur le point d’être démolie lorsque Sustainable Concordia décide en 2006 de la remettre en état. Il est maintenant possible de louer cet espace grouillant de vie pour des événements ou des projets de culture.
En plus de cette impressionnante structure, des bacs surdimensionnés bordent la rue Mackay, en bas du même bâtiment. Toutefois, la rareté des espaces à verdir au centre-ville a poussé les étudiants à s’installer sur le campus de Loyola, situé à l’ouest de Notre-Dame-de- Grâce.
C’est sur ce campus que Marcus Lobb et Ruby Van Vliet, étudiants employés de Sustainable Concordia, voient leur objectif ultime se concrétiser : la formation de stagiaires. La City Farm School a formé des étudiants afin qu’ils participent aux jardins du campus de Loyola et même à ceux du toit du Palais des Congrès.
Cette fertile moisson d’étudiants penchés sur les légumes ou les plantes médicinales fait sourire Ruby : « Même si des ateliers extrêmement pratiques étaient au programme, ils en redemandent! » Marcus et Ruby soulignent d’une même voix que la recherche de financement est « difficile et fatigante », un constat général à toutes les universités montréalaises. Il faut être inventif pour trouver des fonds, car « ce type d’éducation ne cadre pas dans la structure universitaire, l’apprentissage du type “mains à la terre, hands-on” est absent des grandes réflexions sur l’éducation », déplore Marcus.