Avant de monter sur scène, certains artistes s’isolent, d’autres se regroupent. Peu importe la méthode, fouler les planches requiert une préparation psychologique et physique.
Le professeur de guitare jazz et pop à l’UdeM Michael Pucci a partagé la scène avec de nombreux artistes dont les chanteurs René Martel, Céline Dion, Ginette Renaud et Chris de Burgh. « J’aime monter sur la scène avant que le spectacle ne commence, ça me déleste de mon stress, affirme-t-il. J’imagine le spectacle dans ma tête, en vérifiant les instruments, mes guitares. Je dois être au-dessus de mon 100 % à chaque fois !»
Pour sa part, l’étudiante à la maîtrise en études cinématographiques et représentante du Rassemblement des artistes de l’UdeM (RAUM) – qui promeut la diversité artistique sur le campus–Martine Cuillerier fait depuis plus de dix ans du théâtre parascolaire, notamment avec la troupe de l’UdeM (TUM). Un léger trac lui est essentiel afin de demeurer sur le qui-vive. « Si je ne le ressens pas, il y a quelque chose qui cloche, remarque Martine. Ça signifie que je me sens trop confortable, donc que je tiens la pièce pour acquise. »
Pour comprendre les variations du stress d’une personne à l’autre, le professeur au Départe – ment de psychologie de l’UdeM Jean-Sébastien Boudrias s’appuie sur le sentiment d’efficacité personnelle défini par le psychologue canadien Albert Bandura. « Il réside sur ce que l’individu croit pouvoir accomplir dans une tâche donnée – une prestation par exemple – grâce aux aptitudes dont il est doté, résume M. Boudrias. Ce n’est pas tant la tâche objective qui est un facteur de stress que la façon dont la personne la perçoit. »
L’auteur-compositeur et chanteur du groupe québécois Les BB, Patrick Bourgeois, considère que les attentes contribuent effectivement au stress. « Je ne me mets pas de pression à trop vouloir performer, parce que c’est à ce moment que tu fais des gaffes », estime-t-il.
L’apprentissage par l’expérience
Selon le psychologue, l’impression d’efficacité personnelle se façonne principalement par l’expérience. « C’est la meilleure façon d’accroître ce sentiment, car la pratique permet de constater la réussite, explique M. Boudrias. C’est ainsi que se bâtit une confiance. »
Lors de ses premières tournées, Patrick Bourgeois devait se concentrer plus intensément qu’aujourd’hui. « Tu as beau t’évertuer à vouloir être bon lorsque tu débutes, le naturel vient avec l’expérience », maintient-il.
En acquérant aisance et confiance, le plaisir se substitue à la peur du jugement et de l’erreur. C’est ce que relate l’étudiante en adaptation scolaire à l’UdeM Josée Desnoyers, qui a interrompu un baccalauréat en chant classique à l’UQAM et chante depuis 14 ans. « Il y a toujours 50 % des spectateurs qui aiment ce que tu fais et 50 % qui trouvent ça mauvais, relativise- t-elle. Tu le fais pour ceux qui apprécient. »
Développer des trucs
Josée a développé des astuces à force d’expérience qui désamorcent son léger stress. « Afin de mieux m’approprier les chansons des personnages de comédie musicale que j’incarne, je leur invente à l’écrit une vie antérieure au contexte de la pièce », confie Josée.
En optant pour le plaisir plutôt que la crainte, Josée a géré son stress grâce à une stratégie que Jean-Sébastien Boudrias nomme la reformulation cognitive. « Il ne s’agit pas de changer le problème, mais de l’appréhender autrement, précise-t-il. En reformulant autrement la tâche, on en réduit l’ampleur. On change sa signification, ce qu’elle représente. »
Michael Pucci a également appris à se débarrasser en partie de son stress, et en perçoit aujourd’hui largement la différence. « Avant d’avoir développé mes trucs, je savais que j’avais été nerveux si je ne me rappelais pas ce qui s’était passé sur scène, comme si je me sentais absent », relate-t-il.
Pour la représentante du RAUM Martine Cuillerier, l’esprit de groupe est indissociable d’une performance. « J’aime beaucoup les câlins de groupe, on se lance des boulettes de papier pour se donner mutuellement de l’énergie, assure-t-elle. Ce qui est primordial, c’est qu’on monte sur scène en groupe et qu’on en sorte en groupe. »
Fort de ses 25 années de carrière qui ont pratiquement annihilé son trac, Patrick Bourgeois préfère quant à lui jouer ses chansons sans avoir à prouver quoi que ce soit. « Tu es mieux de t’abandonner à cette extase que procure l’échange d’amour entre le public et toi, assure-t-il. Suivre le flot, c’est mon mode de vie avant un spectacle. » Dans tous les cas, leur besoin de se réaliser sur scène l’emporte haut la main sur l’anxiété.